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G. LANSON.PHILOSOPHIE CARTÉSIENNE ET LITTÉRATURE.

J’ai aperçu récemment, à n’en pouvoir douter, que Montesquieu a tout simplement suivi la méthode analytique et mathématique de Descartes. Lorsqu’on se place à ce point de vue pour étudier le livre, toute la confusion apparente se débrouille, les incohérences disparaissent, les partis pris s’atténuent : on est moins souvent réduit à alléguer ou bien le décousu ou bien le bel esprit de l’auteur. Tout s’éclaire, et la matière se distribue régulièrement.

Je ne puis songer à donner ici une exposition détaillée du plan méthodique de l’Esprit des lois : je dirai seulement l’essentiel.

Le dessein de Montesquieu eût mieux apparu s’il avait ordonné la division de sa matière en trois étages au lieu de deux : les chapitres se groupent en livres ; on se serait moins égaré dans cette longue succession de trente et un livres, si ces livres étaient à leur tour groupés en parties. J’en reconnais trois, qui vont, la première du livre I au livre XIII, la seconde du livre XIV au livre XXVI, la troisième du livre XXVII au livre XXXI. Je constitue ces trois parties en considérant les données des problèmes que Montesquieu pose. Les treize premiers livres étudient les choses en soi ; au livre XIV est introduite la donnée de l’espace, et du livre XIV au livre XXVI sont analysés les rapports qui résultent de la considération des choses dans l’espace[1] ; au livre XXVII apparaît la donnée du temps, et du livre XXVII au livre XXXI se développent les enchaînements logiques qui résultent de la considération des choses dans le temps[2].

Dans la première partie, Montesquieu part des notions simples et premières : une raison ordonnatrice de l’univers, des rapports naturels de justice antérieurs aux rapports d’institution humaine ; il considère l’homme « avant l’établissement de toute société », puis en société, puis dans une société gouvernée de telle ou telle manière. Il pose quelques vérités évidentes, et quelques définitions : définition de la loi, définitions des formes de gouvernement.

  1. Le livre XXVI ne pose pas de nouveaux problèmes : c’est un livre de pédagogie sociologique, si je puis dire, où l’on enseigne à reconnaître la nature des problèmes, et à distinguer les ordres de rapports qui correspondent aux grandes divisions de la science du droit droit naturel, droit politique, droit religieux, droit civil, etc.
  2. Je dois dire ici que je ne saurais rendre compte du livre XXIX, dont la place, dans aucun système, ne peut se justifier. Ce livre sépare deux par deux les quatre livres qui exposent l’évolution de certaines institutions et c’est comme un petit manuel du législateur, qui donne des préceptes pour la composition et même pour la rédaction des lois. De toute façon, ce livre XXIX devrait ouvrir ou plutôt fermer la troisième partie.