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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

préjugé ; elle s’établit par une déférence servile de notre raison à l’opinion, à l’habitude, au témoignage, par une suspension du libre examen. Malebranche, un cartésien étranger aux polémiques littéraires, n’a pas assez de railleries pour les adorateurs de l’antiquité.

Application de la loi du progrès à la littérature, en second lieu. La raison se forme, la connaissance s’enrichit, l’humanité s’éclaire de siècle en siècle. Il y a progrès évident et constaté dans les sciences, dans les métiers, dans la morale, dans la religion (supériorité du christianisme sur le paganisme), dans les beaux-arts (perfectionnement des moyens techniques) comment se pourrait-il que la poésie et l’éloquence échappassent à la loi générale ? Cette induction, c’est tout l’ouvrage des Parallèles de Charles Perrault.

En troisième lieu, application à la littérature de la loi de la constance des effets naturels la quantité de mouvement est invariable ; les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Les arbres portent aujourd’hui les mêmes fruits qu’il y a deux mille ans pourquoi la nature fournirait-elle moins de génie, et moins souvent, dans l’humanité ? pourquoi les esprits des hommes n’auraient-ils plus les mêmes facultés ? Les circonstances historiques peuvent interrompre, altérer, masquer cette uniformité des productions de la nature, non pas l’abolir tout à fait. Cette observation, c’est toute la Digression de Fontenelle sur les anciens et les modernes.

En quatrième lieu, application à la critique de la règle de l’évidence. La raison est toujours également partagée entre les hommes, toujours identique à elle-même. Ce qui est vrai, l’est en tout temps et en tout lieu, et doit apparaître évidemment comme vrai à la raison de tous les hommes. Donc ce qui ne m’est pas intelligible, ce qui ne m’est pas évident, ce qui m’apparaît évidemment comme confus, absurde, erroné, j’ai le devoir de le rejeter, le droit de le condamner. Toutes les critiques que Perrault, Fontenelle, La Motte dirigent contre des œuvres particulières des anciens sont fondées sur ce principe « ce que je ne comprends pas ne saurait être raisonnable. »

Puis, c’est le triomphe de l’esprit mathématique tous les éléments concrets, sensibles, particuliers, locaux, sont éliminés. À toutes les réalités se substituent des idées, qui sont analysées, critiquées, enchaînées, affirmées, niées dans l’absolu, en dehors de toute considération de temps, de lieu, de couleur historique ou de beauté esthétique, uniquement comme vraies ou fausses, cohérentes ou contradictoires. C’est le procédé de La Motte dans sa critique et sa