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G. LANSON.PHILOSOPHIE CARTÉSIENNE ET LITTÉRATURE.

disposition intime de Descartes dans sa doctrine, je veux dire certains éléments métaphysiques d’origine théologique, seront éliminés, le cartésianisme se manifestera comme une tout autre chose que la religion, ou qu’un serviteur de la religion. À la fin du siècle, au commencement du siècle suivant, le public français, sans y penser, sera profondément désaffectionné du christianisme : c’est ce qu’accusera dans la littérature l’œuvre, non encore hostile, seulement détachée et railleuse, de Fontenelle.

IV

Outre cette influence générale sur l’esprit de la société et des écrivains, peut-on découvrir quelque vestige d’une action proprement littéraire qui serait due à Descartes ? En d’autres termes, dans le choix et le maniement des sujets et des genres, peut-on reconnaître des conséquences de la doctrine cartésienne ? Dans la forme esthétique des œuvres, aperçoit-on un goût cartésien ?

On constate dans la littérature classique trois grandes lacunes : le sentiment lyrique, le sens historique, l’amour de la nature en sont absents. Sans doute, sur aucun de ces trois points, l’exclusion n’est absolue, et l’on peut citer des noms, des morceaux qui fournissent d’éclatantes exceptions. Mais il est vrai, d’abord, que la littérature ne se développe en aucun de ces sens, et qu’on ne pourra toujours alléguer que des commencements, des fragments ; ce qu’on signalera, ce seront toujours des anomalies et des faits d’exception ; il y aura même diminution, décroissance de ces phénomènes à mesure qu’on avancera dans le siècle. En second lieu, il n’est pas probable que des modes de sentir et de penser qui sont naturels aient été abolis réellement en ce temps-là : mais ils restaient au fond des âmes, et n’étaient point réputés objets littéraires. Aussi glane-t-on la plupart des exceptions dont je parle dans les lettres et écrits de gens qui ne pensaient pas à être auteurs et ne destinaient pas leur pensée au public ; ou bien l’on saisit quelques apparitions accidentelles des sentiments qu’on recherche dans des œuvres et des genres qui n’avaient point à en poursuivre l’expression ; ce sont comme des surprises du tempérament chez certains auteurs. Il reste que la littérature classique, si riche en certains genres, est tout à fait pauvre en poèmes lyriques, en histoires, en paysages.

Mais de cette triple indigence, Descartes est-il responsable ? Je n’ose-