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G. LANSON.PHILOSOPHIE CARTÉSIENNE ET LITTÉRATURE.

de Descartes pour qu’il ne vît pas très nettement lui-même où sa méthode le conduisait, et pour qu’il allongeât parfois la chaîne de ses démonstrations de quelques notions dont l’origine n’est pas toute rationnelle comme lorsqu’il déterminait les attributs de son Dieu. Mais surtout les contemporains ne pouvaient se douter où les menait sa méthode ni quelle floraison d’impiété était en germe dans le principe de ne se rendre qu’à l’évidence, lorsque la première application de la méthode conduisait à l’immatérialité de l’âme et à l’existence de Dieu, lorsque la foi en un Dieu tout-puissant, véridique et bon, était la garantie même de la réalité du monde extérieur, et la condition préalable de la science. Le xviie siècle fut bien excusable, en vérité, de prendre Descartes pour ce que lui-même croyait être, pour un allié de la religion, et non pour un ennemi. Les jansénistes même, sauf Pascal peut-être, et les oratoriens s’y trompèrent c’est-à-dire les deux groupes catholiques de France où peut-être il y avait le plus de ferveur religieuse et de zèle pieux. C’est là justement que le cartésianisme a fait d’abord le plus de prosélytes.

Et si, après 1660, le libertinage perd du terrain, si les témérités scandaleuses cessent, si enfin l’impiété devient, pour un demi-siècle, un courant souterrain qui ne se laisse pas toujours deviner, Pascal ou Bossuet en ont moins l’honneur que Descartes. Celui-ci fut l’intermédiaire qui réconcilia pour un temps nombre d’esprits avec la religion, et les fit vivre décemment auprès d’elle.

Sur tous les points importants, sa doctrine mettait en déroute le libertinage : au scepticisme universel, il opposait la certitude précise de sa méthode. Aux négateurs de Dieu et de la providence, il démontrait Dieu, et dans la création continuée, découvrait une action providentielle. Aux négateurs de l’immortalité de l’âme, il démontrait l’immatérialité de la substance pensante, d’où il résultait que le miracle eût été la mortalité, et non l’immortalité de l’âme. Aux épicuriens sectateurs des voluptés corporelles, il enseignait l’infinie inégalité de dignité de la pensée et de l’étendue, l’infinie supériorité de l’activité intellectuelle sur la sensation physique. Aux adorateurs de la nature qui prêchaient l’abandon à l’instinct, il expliquait la liberté, la force de la volonté pour suivre le bien reconnu par la raison, la grandeur de la vertu qui consiste dans le choix libre par lequel l’homme réalise une idée vraie.

Tout cela, Descartes l’offrait, en un langage aisé à suivre, un clair français ou un latin bientôt traduit, en des ouvrages courts où