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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

talents au parti de l’irréligion, attribue en celui-ci les grands génies à l’Église et à la foi. Il est difficile qu’une époque où les principaux prosateurs sont Pascal, un sectaire ; Bossuet, un évêque ; Fénelon, un archevêque, – et au-dessous d’eux, Bourdaloue, un jésuite, Fléchier, Massillon, des éyêques ; et au-dessous encore tant d’autres ecclésiastiques, prélats, abbés, jésuites, oratoriens, ne prenne pas une couleur chrétienne, si on la regarde dans sa littérature.

En second lieu, il s’est réellement opéré au xvie siècle une restauration de la foi catholique. L’Église a repris une étonnante vitalité, que précisément ce grand nombre de génies et de talents atteste. Des mouvements originaux manifestent au sein du catholicisme un réveil de la puissance, de création religieuse fondations ou réformes d’ordres, formes nouvelles de dévotion, interprétations personnelles du dogme. L’autorité ecclésiastique, au nom de la tradition orthodoxe, essaie d’étouffer ce dernier genre de créations malgré tout, en France même, le jansénisme et le quiétisme ont une vigoureuse expansion. Le jansénisme surtout, par sa hauteur morale, et aussi par d’autres causes, se propage en dehors du petit troupeau des sectaires autour des vrais jansénistes s’aperçoit une foule de jansénisants, si je puis dire, attachés plutôt qu’adhérents, et sympathiques plutôt que croyants. La littérature de Pascal et de Nicole aidant, le jansénisme contribue pour beaucoup à ramener le siècle, au moins en apparence, sous la domination de l’idée chrétienne[1].

Mais quand on a développé toutes ces raisons, quand on en a, autant qu’il est possible, défini le jeu et l’action, on s’aperçoit que quelqu’un, peut revendiquer aussi une grande part dans l’effet que nous voulons expliquer et ce quelqu’un, c’est Descartes. Il est très certain que la philosophie de Descartes a pour âme le principe même d’où l’irréligion du siècle suivant devait sortir, que l’esprit scientifique et la foi au progrès indéfini de la raison, qui sont au fond de la méthode cartésienne, se sont découverts plus tard les mortels ennemis de la vérité révélée : M. Brunetière en a donné l’irréfutable démonstration. Mais en attendant que la méthode de Descartes produisît ces effets, la doctrine de Descartes en a produit d’autres, et de tout contraires. Il y avait assez de foi traditionnelle dans la pensée

  1. C’est ce qui a été mis vigoureusement en lumière par M. Brunetière dans l’admirable article intitulé Cartésiens et Jansénistes. Profondément vraie, si l’on ne considère que les essences des doctrines, la thèse de M. Brunetière me paraît appeler, dès que l’on tient compte des hommes et de l’histoire, une restriction que je ferai tout à l’heure.