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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

seconde moitié du siècle, ceux-là ont moins reçu de Descartes qui sont nés les premiers. Si La Fontaine et Molière, par exemple, sont plus affranchis de Descartes que Boileau et La Bruyère, ce n’est pas seulement par une disposition fondamentale de leur tempérament personnel ; c’est aussi parce qu’ils sont nés, parce qu’ils ont grandi dans une société où la doctrine cartésienne n’avait pas encore circulé, n’était pas encore dominante, où, tout au contraire, le libertinage et l’épicurisme avaient gagné presque tout ce qui n’était pas étroitement dévot. Pour une raison analogue, plutôt que par aucune différence réelle de nature, Mme de Grignan est cartésienne, tandis que sa mère, qui connaît et admire Descartes, ne l’est pas. On s’explique encore de même façon que les hommes dont le tempérament correspond le plus étroitement à la nature de l’esprit et des conceptions de Descartes, comme Retz ou La Rochefoucauld, ne soient point des adeptes du système : ils avaient l’esprit trop fait pour y loger une doctrine nouvelle, fût-elle la mieux adaptée à leur véritable essence. Ceux qui auront quinze, vingt ou trente ans de moins, qui naîtront ou s’instruiront après 1680, seront livrés en temps propice à l’action de Descartes et sur ceux-là, sur Boileau, sur La Bruyère, sur Mme de Grignan, sur Charles Perrault, sur Fontenelle, sur tout le monde dans le dernier tiers du siècle, le cartésianisme mettra son empreinte.

Cependant, comme il est naturel de le supposer, les traces d’une influence de Descartes apparaissent d’abord, en laissant de côté les purs philosophes au sens spécial et technique du mot, dans les esprits que leurs penchants et leurs études obligent de connaître, disposent à goûter les spéculations philosophiques. Voilà comment Pascal et Bossuet, l’un géomètre et physicien, l’autre théologien, sont, chronologiquement, les premiers de nos grands écrivains chez lesquels on saisit une plus ou moins formelle, plus ou moins complète adhésion aux idées de Descartes.

Je sortirais des limites de mon sujet, si j’essayais d’indiquer même sommairement ce qu’il entre d’éléments cartésiens dans la pensée de Pascal. Il me suffira de faire remarquer que le traitement de l’expérience, la conversion de la réalité sentie en notions intelligibles se fait chez Pascal par la méthode et selon les principes de Descartes il procède en cartésien, jusqu’à ce que, les idées étant posées, le devoir d’interpréter ou d’expliquer lui fasse quitter ou combattre Descartes. Hors les nécessités de son système janséniste, Pascal garde volontiers, dans les matières de science et de psycho-