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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

et avec moins d’originalité, les contemporains de Corneille et de Descartes, Rotrou même, nous offrent, dans leurs pièces à peu près la même idée des éléments de la vie morale et des rapports qui les unissent.

Or, dans tout ce que je viens d’exposer, il ne saurait être question d’une influence cartésienne la chronologie s’y oppose. Quand plusieurs des manifestations que j’ai signalées ne seraient pas antérieures à 1637, il est clair qu’une œuvrô littéraire, et surtout une œuvre philosophique, ne peut jamais, quel que soit son succès, retourner instantanément les esprits, ni y créer en un jour des dispositions nouvelles. Les hommes dont l’esprit était formé, qui avaient atteint tout leur développement intellectuel, à la date où Descartes révéla sa philosophie, ont pu l’admirer infiniment : il n’est guère vraisemblable qu’elle soit devenue un des ressorts actifs, un des éléments prépondérants de leur pensée, sinon dans les cas où elle ne leur était pas réellement nouvelle, où elle exprimait leur nature ou leur besoin. Mais, de plus, nous voyons Chapelain, Balzac, d’Ablancourt, Corneille, être après l’œuvre de Descartes ce qu’ils étaient avant elle, et être avant Descartes des esprits cartésiens.

Il est bien visible ici que ce parallélisme a son explication dans certaines circonstances dont le cartésianisme lui-même dépend, et qui ont contribué à le déterminer historiquement. Au début du xviie siècle s’aperçoit de tous côtés en France un esprit très décidé d’indépendance intellectuelle, esprit qui n’a rien d’anarchique ni de révolté, très éloigné de l’aventure et de la fantaisie, très curieux d’ordre et de raison. On n’a plus de goût pour les vagabondages téméraires de la pensée. On ne quête plus les nouveautés divertissantes ou hardies à travers le monde et les livres. Ce qu’on veut, c’est une vérité claire et un raisonnement sûr. Bien concevoir et bien enchaîner, c’est ce que chacun à sa façon s’efforce de faire, avec plus ou moins de bonheur ou d’éclat. En sorte que la méthode de Descartes, en même temps qu’elle répond à un certain état général de l’évolution philosophique ou scientifique, apporte une réponse et une satisfaction à ce qui était en ce temps-là devenu le problème principal et le besoin dominant de l’esprit français. Elle est, pour une partie du moins, le produit direct d’une exigence intellectuelle qui n’était pas particulière à son auteur, mais commune en quelque degré à tous les contemporains.

De plus, en sa doctrine positive, le cartésianisme suppose une