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la même chose que la volonté, c’est ce qui est expressément confirmé dans le scholie de la propos. 9, iii.

Or, toutes ces idées se trouvent déjà dans Descartes. Pour ce qui touche la théorie contenue dans la prop. 2, v, Spinoza lui-même en convient ; il indique la source où il a puisé lorsque, dans la préface de la partie V, après avoir résumé avec sa concision habituelle la théorie cartésienne des passions, il ajoute : « Telle est, autant que je le puis comprendre, la doctrine de ce grand homme, et je m’étonnerais qu’il l’eût proposée si elle était moins ingénieuse. » Seulement, cette préface est écrite de telle façon qu’à première vue elle parait n’être qu’une réfutation de Descartes : c’est d’ailleurs ce qu’elle est dans une certaine mesure. Spinoza fait à Descartes les objections qu’il devait lui faire mais si l’on y prend garde, ces objections portent toutes sur les applications que Descartes a faites de son principe, non sur le principe lui-même. Ce que Spinoza blâme chez son maître c’est la distinction de l’âme et du corps qu’il compare aux qualités occultes de l’École ; c’est la théorie de la volonté considérée comme cause du mouvement corporel, l’impossibilité de tout rapport entre la volonté et le mouvement ne permettant pas que les forces du corps soient déterminées par celles de l’esprit ; c’est une erreur physiologique ; c’est enfin ce que Descartes dit de la volonté et du libre arbitre. Spinoza devait modifier la théorie sur tous ces points pour l’accommoder à son système. Mais ces changements accomplis, la doctrine reste la même : c’est celle que nous avons vue si nettement formulée dans la prop. 2, v. Seulement, comme il arrive souvent, le philosophe est plus préoccupé de marquer les différences que les ressemblances. Il souligne les points où il s’écarte du maître plus volontiers que ceux où il reste attaché à lui, et c’est au moment où il lui emprunte le plus qu’il parait s’éloigner davantage. C’est ainsi que Locke critique sans cesse Descartes, mais s’inspire de lui bien plus souvent encore qu’il ne le combat ; il est bien plus près de lui que de Bacon.

C’est dans le Traité des passions (liv. I, art. 50) que Descartes expose de la façon la plus nette la théorie que lui a empruntée Spinoza. « Il est utile de savoir qu’encore que les mouvements, tant de la glande que des esprits du cerveau qui représentent à l’âme certains objets, soient naturellement joints avec ceux qui excitent en elle certaines passions, ils peuvent toutefois par habitude en être séparés, et joints à d’autres fort différents, et même que cette