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L. WEBEB, – IDÉES CONCRÈTES ET IMAGES SENSIBLES.. 49 lière et son objet pensé et nommé ne font qu’un. Sans douté, les perceptions, les témoignages, etc., en un mot l’expérience, modifient en maintes occasions le contenu variable de l’idée, c’est-à-dire les attributs possibles de l’objet, mais l’expérience ne touche jamais à la forme, sans laquelle, l’objet n’étant ni pensable ni nômmable, n’existerait plus que comme donnée sensible de la perception et disparaîtrait du monde extérieur conçu comme tel.

Les noms propres dénotent par conséquent des idées tout comme les noms génériques et les substantifs abstraits. Le nom de M. X,. est signe d’idée, aussi bien que les substantifs homme, cause, fin. On a vu qu’il faut admettre les idées singulières au rang de réalités mentales de même espèce que les concepts, parce que les phénomènes auxquels elles répondent en chaque esprit ne se résolvent ni en une image verbale, ni en une image sensible, ni en une association plus ou moins complexe d’idées générales. Comme ces dernières, les idées singulières sont enveloppées de la forme spécifique d’existence logique et sont des termes possibles de jugements explicites..

Cependant, une objection se présente, à laquelle nous devons essayer de répondre. Avec cette uniformisation des éléments du jugement, comment désormais distinguer, a principiis le concret de l’abstrait, le singulier et le particulier du général, le réel, objet d’expérience, de l’idéal, objet de spéculation ? Pour le sens commun rien de plus distinct, apparemment, que le monde des êtres et des faits, au milieu desquels s’écoule la vie, et celui des idées. Aux yeux du métaphysicien épris d’unité la différence s’atténue et est quelquefois même supprimée. Mais dans ce dernier cas la fusion du réel et de l’idéal, purement logique, n’est que la conséquence résultant des propriétés intérieures d’un système abstrait. Elle demeure paradoxale et, si elle ne choque pas ceux qui croient expliquer l’univers en déchiffrant des concepts, elle heurte le sens commun. Au contraire, du point de vue psychologique où nous nous plaçons, d’où l’on considère l’esprit et ses démarches, comme tout autre phénomène, du dehors, le paradoxe disparaît. Je dis que tout ce que l’on nomme, on le pense, et que penser est un acte différent de percevoir, sentir, s’émouvoir, vouloir ; que cet acte, relativement récent dans l’évolution psychologique, invention des hommes organisés en société, engendre un monde où nul autre vivant n’a encore pénétré, le monde intellectuel, qui renferme tout ce qui porte un nom et est TOME IV. ï– 1896. i