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REVUE DE GÉOGRAPHIE

confier la réorganisation des musiques militaires à un chef d’orchestre prussien !

Séoul est incomparablement plus intéressant que les capitales chinoise et japonaise. Les couleurs de ses rues sont plus vives et plus bariolées que celles de Pékin, son cachet primitif moins dénaturé qu’à Tokyo ; on sent vraiment que l’on se trouve dans un pays étranger à peine ouvert à la civilisation depuis une vingtaine d’années.

Le spectacle le plus original est celui que l’Européen peut observer du haut d’une fenêtre avoisinant le palais impérial, un peu avant le lever du soleil, au moment de la relève de la garde. À ses pieds, devant la porte du palais, s’étend une grande terrasse assombrie par un toit immense portant l’inscription chinoise visible de loin « Ta Ngan Mönn » (Porte du Grand Repos) ; sur de grandes marches d’escaliers et des dalles de pierre s’allongent des centaines de formes noires affublées de manteaux flottants et d’énormes chapeaux de feutre noir à larges bords. D’épais faisceaux de hallebardes, analogues à celles des Boxers, des bâtons recourbés et autres instruments bizarres, sont déposés contre le mur d’enceinte du palais ; devant les marches de l’escalier d’honneur, une infinité de ces petites boîtes carrées que les Coréens de condition utilisent comme chaises à porteurs. De tout petits chevaux, harnachés de brides bariolées et de selles très hautes, sont attachés à des pieux, attendant, de même que les chaises à porteurs et les dormeurs noirs de la terrasse, le retour de leurs maîtres : les ministres et les hauts fonctionnaires de la cour ont déjà expédié les affaires de l’État avant l’aurore et peuvent en effet quitter le palais à tout moment. En Corée, comme en Chine, c’est dans le silence de la nuit que le gouvernement traite toutes les affaires importantes. Les malheureux ministres et conseillers sont obligés de se faire réveiller à minuit, d’endosser leurs habits de gala et de se rendre au palais à travers les longues rues mornes de la ville endormie, curieusement éclairée par de grêles lampes électriques.

Le sujet coréen observe le plus grand silence pendant la nuit, du coucher au lever du soleil. Le palais impérial a seul le droit de faire du bruit et ne s’en prive pas. Aux chants et aux danses succèdent des beuveries terminées par de véritables saturnales. En dehors de sa principale épouse[1] et de huit autres femmes officielles, le souverain dispose de trois cents concubines, choisies avec soin parmi les plus jolies filles et les chanteuses et danseuses du pays. On ne peut que folâtrer avec un pareil personnel : mais il est probable que les princes et les grands dignitaires qui passent ainsi la nuit ont la tête plutôt lourde lorsqu’il s’agit de délibérer gravement avant l’aurore.

  1. Il est question depuis longtemps de l’élever au rang d’impératrice.