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saient l’homme par la manche, ou même s’emparaient de son bonnet, pour le décider à venir visiter le magasin. Après un gros achat, client et marchand allaient au bistrot « s’honorer » d’un verre de vin, chacun payant son litre.

Tout ce monde du commerce populaire, et il n’y en avait presque pas d’autre à Braïla, prit le parti de l’homme qui portait le sac au dos, non seulement par intérêt, mais aussi par sympathie, étant de même souche que lui. On oublia le socialisme, cette « invention de la juiverie internationale qui visait à la maîtrise de l’univers », ainsi que l’appelaient les antisémites.

— Les élévateurs, — répondait le commerçant, — cela aussi c’est une invention de la juiverie internationale, et elle ne vient pas, comme le débardeur, visiter mon magasin. Donc, tant pis pour elle !

Devant cette tournure de l’opinion, nettement favorable aux syndicalistes, armateurs et autorités reculèrent. Les machines prêtes à fonctionner, durent rester encore dans les chantiers de Galatz. On était certain que leur seule apparition dans le port déchaînerait un ouragan de colère justifiée.

Mais il fallait tout de même, dans huit ou quinze jours, faire venir les élévateurs. Aussi chercha-t-on à traiter. Avramaki fut convoqué un matin dans le cabinet du préfet départemental, où il se trouva en présence des frères Thüringer et de Carnavalli. Le préfet lui demanda s’il n’y avait pas moyen de s’entendre :

— Vous ne me direz pas, — fit-il, — que vous croyez à la suppression pure et simple de ces machines ! Elles sont là. Elles travailleront, tôt ou tard.

— Certes ! — répondit le secrétaire du syndicat. — Mais si je ne crois pas à leur suppression, je crois à autre chose, et là encore nous ne nous entendrons pas. Seulement, sur cette question, je pense que vous serez seul, monsieur le préfet, à ne pas y croire, car ces messieurs les armateurs, eux, y croiront.

— À quoi donc ?

— À la suppression des vatafs ! Vous reconnaîtrez, à votre tour, que les vatafs ne peuvent pas prétendre à l’innovation technique. Ce ne sont pas des élévateurs. Ceux-ci ont de l’avenir, en dépit de tout. Eux, non. C’est une institution surannée, lourde d’injustices à l’égard des travailleurs. Des