Page:Revue de Paris - 1932 - tome 6 - numéro 22.djvu/118

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tous leurs malheurs. Il serait facile à l’historien de constater, aussitôt après l’apparition du syndicalisme à Braïla, le fléchissement brusque de la courbe du graphique annuel indiquant la criminalité dans cette ville. Mais l’auteur de cette chronique est le témoin oculaire de faits et gestes dont aucune statistique ne s’est jamais occupée et dont la portée morale est d’une importance sociale encore plus considérable. C’est la modification spontanée du tempérament de l’homme du port et la disparition presque soudaine du fameux costaud querelleur et assassin, tel qu’on le voit dans notre récit intitulé Codine.

Car ce n’était pas le crime proprement dit qui était l’aspect le plus sinistre de la vie de la banlieue braïloise, mais l’existence même de cette affreuse nature de brute inhumaine qui, sans aller toujours jusqu’au crime, tyrannisait les siens et répandait la terreur dans tout un quartier, le faisant vivre sous la menace constante de la matraque, du couteau et du risque de l’incendie provoqué en pleine nuit. Le plus souvent, la brute n’était ni un costaud à réputation d’assassin, ni même un homme mauvais, mais un brave travailleur, bon père et bon époux, qui changeait d’humeur et devenait méconnaissable dès qu’il avait avalé son troisième verre d’eau-de-vie. C’est pourquoi on voyait la cour d’assises de Braïla acquitter ou n’appliquer que le minimum de la peine à la plupart des criminels qu’on amenait devant elle. Les jurés étaient obligés de reconnaître que l’homme chargé de chaînes qu’ils avaient sous les yeux était lui-même une victime. Et cependant, qu’elle était abominable, cette victime ! Que d’innocents, que de gens paisibles ce brave homme n’était-il pas capable de faire sortir en chemise, et de mettre en fuite au milieu de la nuit, lorsqu’il se soûlait, ne fût-ce qu’une fois par mois. C’est que cet homme-là était le type du débardeur du port. Plus ou moins, ils se ressemblaient tous. Et on ne pouvait pas l’abattre, comme on abat un chien enragé, car on le savait honnête et travailleur, on l’aimait, c’était un bon voisin ou un ami, qui venait le lendemain faire des excuses, en se frappant la tête pour exprimer ses remords d’avoir fait du tapage la veille, sans toutefois jamais se corriger et recommençant sa sarabande à la première occasion.

Eh bien, ce type de perturbateur-tyran changea de nature.