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dit-il. — Si quelque chose de grave arrive aux bons Thüringer, au moins je n’y serai pour rien. Tant pis pour la bombe.

Avramaki ne pensait pas ainsi.

— Malheur ! Voilà un coup raté. Nous aurions dû agir plus tôt, aller dès le début de cette semaine parmi les débardeurs et leur annoncer la nouvelle. Comment se fait-il que tu n’aies rien flairé de l’arrivée des élévateurs à Galatz ?

— Ce soir à sept heures j’étais encore dans le port : on n’en savait rien. Et dans la maison je n’ai rien pu apprendre, pendant la semaine.

Les deux hommes sortirent. La chaleur était suffocante. Ils firent un tour dans le terrible quartier de Comorofca, où se trouvait la « Maison des Travailleurs » qu’on allait inaugurer le lendemain et où pas un policier n’osait s’aventurer, puis ils redescendirent la rue Grivitza et s’engagèrent sur la grande artère populeuse qu’est la moitié nord de la rue de Galatz. Partout, des montagnes de melons et de pastèques, éclairées par des lanternes fumeuses. Les débardeurs en achetaient tant qu’ils pouvaient en tenir dans les bras. Les voituriers en chargeaient par dix et vingt, régal populaire du mois d’août, à la portée de toutes les bourses.

Devant tous les cabarets, des attroupements. On buvait peu et sans joie. On n’entendait pas un tsigane râcler de son violon. En revanche, on jurait à faire crever la voûte céleste :

— Ah, ces messieurs du gouvernement ! Ils sont pour le progrès, ha ? Et nous ? nous ? Qu’on veuille bien nous dire ce que nous sommes, nous ! Toujours ceux qui paient la casse ? Eh bien, non ! Cette fois, nous allons répandre quelques entrailles remplies de fine graisse !

C’était un colosse qui lançait ces imprécations, crachant et ne regardant personne parmi la foule qui l’entourait, tant il était furieux. Un sergent de ville, planté à son poste, au milieu de la rue, murmura, après l’avoir écouté :

— Mon vieux… Si tu n’as pas ce soir même les côtes cassées à la police, ce sera pour demain, quoique tu aies bougrement raison.

— Tiens ! — fit tout à coup Adrien. — Voici le père Stéphane !