Page:Revue de Paris - 1932 - tome 6 - numéro 22.djvu/101

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Toutefois, le voyant sortir du siège du « Syndicat mixte », il ne put résister au plaisir de lui décocher une méchanceté :

— Tiens ! fit-il, étonné. Tu es, toi aussi, mêlé à cette marmelade mixte ? Je ne l’aurais pas cru ! À quand donc votre candidature de député socialiste, M. Adrien Zograffi ?

Adrien vit son aspect minable et ne releva pas l’ironie. Le prenant par le bras, il l’entraîna avec lui :

— Allons prendre le thé ensemble. Il y a longtemps, qu’on ne s’est vu.

Rizou fut touché. Il savait qu’Adrien, à l’exemple de tant d’autres, aurait pu facilement répondre à son sarcasme en plaisantant sa chimie et son anarchie, toutes deux réduites à la fabrication de feux d’artifice. Aussi, il fut heureux de l’avoir échappé belle, car rien ne lui était plus pénible que les allusions désobligeantes, parfois cruelles, à ces deux passions de sa vie : ses idées anarchistes et la chimie qu’il avait espéré illustrer un jour du haut de la chaire universitaire.

Ils firent tout le chemin sans plus échanger un mot. À la maison de thé, bondée de pêcheurs russes barbus qui puaient l’alcool et le poisson, Rizou dit à Adrien, dès qu’ils furent installés dans leur coin :

— Tu me pardonnes ma méchanceté de tout à l’heure ?

— Mais je sais bien que tu n’es pas méchant.

— Oh, si ! je le suis. Que veux-tu, la vie n’est plus pour moi qu’un fardeau. Alors ? On me frappe. Je frappe. Ou, plutôt, je mords, comme un paria impuissant.

Adrien regardait son visage marqué par l’impitoyable maladie et le trouvait sympathique, avec ses yeux noirs, brûlant de passions contenues.

— Dis-moi, Jean : pourquoi ne veux-tu pas qu’on se voie plus souvent ? Tu vis trop seul.

Il voulut lui prendre une main. L’autre la retira :

— Il ne faut pas être trop affectueux avec moi. Je n’y tiens pas. Je m’en suis déshabitué et je ne sais pour quelle raison j’en reprendrais l’habitude. On est affectueux pour la vie ou on ne l’est pas. Il n’est guère possible d’aimer un homme et de haïr tous les autres. Or, maintenant, c’est la haine qui me nourrit. Je déteste jusqu’à mes idoles. Regarde un Élisée Reclus. Au fond, même ce grand type n’a pas pu résister