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brusquement, pour toute une semaine, se livrait à une débauche folle avec des amants et rentrait un beau matin, à l’aube, accompagnée d’un musicien tsigane qui jouait du trombone à coulisses, ce qui faisait sortir tous les banlieusards dans la rue. Lina n’y faisait pas attention. Grave, légèrement ivre, une fleur de géranium à l’oreille et la cigarette aux lèvres, elle avançait comme une reine, suivie par le tsigane qui, les yeux hors de la tête, soufflait dans son trombone à réveiller les morts.

— Oui, madame Charlotte, ce n’est pas la même chose ! — disait-elle, mélancoliquement.

Lina était, de toutes les amies d’Anna, la seule qui ne lui enviait rien, à part sa beauté :

— Qu’avais-tu besoin de cet Allemand et de tout son bric-à-brac ? Que tires-tu de tout cela ? Pas même ce qui est donné à la dernière des bohémiennes qui est battue dans la journée, mais rudement aimée la nuit ! Et qu’y a t-il de meilleur au monde que l’amour ?

Admiratrice passionnée de la perfection physique d’Anna, elle allait parfois jusqu’à lui défaire son peignoir, pour contempler sa poitrine et s’écrier :

— Dieu, quelle fortune ! Et au lieu de la livrer aux hommes qui en meurent d’envie, tu la gardes, pour en faire quoi ? des conserves ?

Quand Hassan se trouvait présent à une de ces scènes, c’en était trop pour lui. Il empoignait ses outils, mettait le tarbouch en bataille et s’enfuyait à toutes jambes, en murmurant dans sa langue :

Aman bré ! Pourquoi toutes les femmes ne pensent-elles pas comme cette Lina ?

Les autres amies qui venaient croupir à la cuisine et se lamenter étaient des femmes malheureuses. Mariées entre dix-huit et vingt ans, à vingt-cinq, elles en paraissaient quarante. Leur misère intime ne pouvait presque plus émouvoir. C’était le drame sordide de la majorité des femmes de la banlieue, qui épousent par amour un débardeur ou un voiturier du port. Le jeune ménage va bien, tant que la maigre dot