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Mais le plus souvent la cuisine ne désemplissait pas du monde le plus hétéroclite : marchands de légumes ou de volaille, livreurs d’épicerie, boulangers, fruitiers, — toutes épaves venues de toutes les mers et battues par toutes les tempêtes, espèces de Hassan ou de barba Stamatis. Chacun avait son histoire douloureuse. Chacun, sa particularité sympathique. Au début, ces femmes sincères commençaient par cacher leur nudité devant ces malheureux. Puis, à force de voir au fond de leur cœur, elles s’oubliaient. Car ils étaient humbles, dévoués comme des chiens et obligeants jusqu’à l’absurdité. La plupart, étant les misérables propriétaires de leur pauvre marchandise, venaient abandonner celle-ci à la cuisine, même lorsqu’on n’en avait pas besoin, et s’en allaient sans demander d’argent :

— Vous payerez, madame, quand vous voudrez !

Ainsi, ils devenaient les habitués de la maison, la maison de l’office, où il y avait plus d’humanité que dans les salons. On leur offrait des gâteaux ou du café, et, parfois, on leur donnait à dîner, certains d’entre eux étant toujours affamés.

Affamés, ils l’étaient certes de toutes les bonnes choses de l’existence, mais d’un peu de chaleur humaine plus que de toute autre. Et qui détient cette chaleur ? Qui sait le mieux la répandre que la femme ?

— Mon pauvre Nicolas comme tu as les mains crevassées ! Tiens : lave-les ici à l’eau tiède et passe-leur ensuite cette glycérine. Et viens faire ça tous les jours chez nous, car, chez toi…

Ah, ces belles femmes ! comme elles savent que chez lui il n’y a rien, rien qu’un grabat crasseux et une lampe puante ! Il n’a rien, même s’il lui arrive de ramasser des pièces d’or et de les coudre dans la doublure de sa veste. Plus que cet or et que tout l’or du monde, madame Anna, et madame Hedwige, et mademoiselle Mitzi, le réchauffent, rien qu’en lui permettant de s’attarder là, à la cuisine, et de les regarder, parfois même d’une façon coupable en apercevant des parties de leur belle chair, dont il se remplit les yeux et qu’il emporte dans son taudis. Là, c’est toute sa fortune, dans son existence dépourvue de joie.

Et Hassan, qui dit, quand il se fâche, que « la femme a les