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— Elle m’aime, je le sais, moi, mais elle a honte de l’avouer, parce que je suis vieux.

— Pourquoi l’enfermes-tu, alors ? — chicanait Anna.

— Pour la défendre des voyous du quartier, qui pourraient venir, pendant mon absence, la violer.

Après barba Stamatis, c’est Hassan, le Turc cireur de chaussures, qui était le plus sympathique. Encore jeune, l’existence de Hassan semblait renfermer quelque mystère, mais, ne parlant qu’assez mal la langue du pays, il était plutôt taciturne. Néanmoins, venant depuis des années pour cirer tous les matins une douzaine de paires de bottines, il avait suffisamment parlé de sa naissance noble pour qu’il fût bientôt devenu la cible de toutes les railleries. Il s’attardait à la cuisine plus que son travail ne l’exigeait, fumait, buvait du café et se perdait dans de longues rêveries, sans desserrer les dents. Alors Mitzi s’asseyait à côté de lui :

— Dis, Hassan à quoi penses-tu ?

Il se fâchait aussitôt :

— Laisse, madama ! Vous, femme, cheveux longs, ma, pas beaucoup tête !

— Écoute, mon chéri ! Écoute ce que je veux te dire ; je sais bien ton père, bey, tu devrais aussi être bey, maintenant. Mais, voilà « ta mère a été marchande de cacahuètes », et c’est pourquoi tu es cireur de bottes. Pourtant, ce n’est pas une raison pour être triste. N’es-tu pas heureux que je t’aime ?

Et elle lui frottait son immense nez, pour lui prouver qu’elle l’aimait.

Ces femmes, se sachant parfaitement honnêtes dans leur conscience, avaient l’habitude, assez dangereuse, d’être trop familières avec ces pauvres diables et de se montrer à eux insuffisamment vêtues. L’été, à cause des chaleurs caniculaires, l’hiver, parce qu’on chauffait outre mesure, et toujours par besoin irrésistible d’être à l’aise, elles passaient la plus grande partie de la journée vêtues d’un peignoir qui ne couvrait leur jeune corps que pour mieux le faire valoir. Ce n’était pas du dévergondage, mais de l’insouciance. Devant les gens de la maison, cela avait moins d’importance, car on s’y habituait, à la fin.