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L’ironie navrante dont abondait leur conversation n’épargnait personne. Si les domestiques d’une maison se montraient tant soit peu aimables à leur égard, ils devenaient familiers, racontaient de belles histoires pleines de soleil et de Méditerranée, apportaient des détails mordants sur l’origine bien connue de tel parvenu et se moquaient d’eux-mêmes et de leurs propres rêves de jadis.

Nos voluptueuses Allemandes adoraient ces hommes. Quand arrivait, par exemple, oncle Stamatis, ou barba Stamatis, comme on l’appelait en grec, c’était une fête. On le nourrissait, on le comblait de caresses. Ce n’est pas que barba Stamatis leur apportât de bonnes choses. Étant très avare et craignant de perdre l’argent qu’il aurait engagé dans quelque marchandise chère, restée invendue, il ne se trouvait, le plus souvent, dans son panier, qu’une demi-douzaine d’œufs frais, ou quelques pêches, deux ou trois artichauts, une poignée de radis neufs.

Barba Stamatis n’avait pas été tout à fait malchanceux dans ses entreprises, mais il avait trop aimé les jeunes filles, et il avait commencé à un âge où celles-ci ne veulent plus vous aimer pour vos beaux yeux. Cette faiblesse lui était restée. En ce moment même, il avait à la maison une maîtresse de quarante années plus jeune que lui. Il la gardait sous clef. Et la pauvrette, dans l’espoir de pouvoir faire un jour main basse sur des économies qu’il n’avait pas, supportait la claustration que lui imposait le vieillard jaloux. Son amoureux lui permettait parfois de venir voir les dames allemandes, et alors elle racontait ce qui se passait entre eux :

— Il dit que je n’ai pas de tempérament pour lui. Diable ! Comment en aurais-je, quand il ne me nourrit que d’olives et de concombres ?

— Pourquoi ne le quittes-tu pas ? lui demandait-on.

— Parce que je veux d’abord lui tirer des sous, pour avoir de quoi me marier.

— Mais il n’a pas le « rond » !

— Vous croyez ? Ah ! si c’est vrai, alors je perds ma jeunesse à côté de ce vieux rat !

Le « vieux rat » niait crânement que sa maîtresse restât avec lui par intérêt :