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— Je ne recevrai plus mon amant. Tu le laisseras siffler dehors, tant qu’il voudra.

Voilà ce qu’était Julie.

Mais Anna ? Oh, l’impénétrable mystère ! Il la comprenait encore moins, maintenant que Julie venait de lui dévoiler, pour ainsi dire, toute la femme et tout l’homme. Non, il y avait dans la femme, dans l’homme autre chose que cela. Il sentait que l’homme, ou en tout cas, lui, Adrien, pouvait avoir besoin de deux femmes à la fois, peut-être de plusieurs. Ce n’est pas qu’Anna pût se comparer à Mikhaïl ; on ne pouvait avec elle voguer sur l’océan de toutes les pensées humaines dont il ne faisait lui-même, Adrien, qu’entrevoir l’immensité. En ce sens, elle était une créature presque aussi simple que Julie. Mais elle détenait un levier de commande qui agissait justement dans ce domaine de l’esprit en amplifiant au maximum l’intensité du rêve. Près d’elle, Adrien, cessait d’être un homme ordinaire. Certes, cela lui arrivait aussi lorsqu’il lisait une grande page de littérature immortelle, ou quand Mikhaïl l’entretenait avec feu des problèmes de l’existence. L’émotion était la même, ou plutôt de la même qualité. Et pourtant, c’était différent. À côté d’Anna et, parfois, en lui touchant le bras avec sa joue, toutes les beautés spirituelles de la vie s’incorporaient en lui. Elles n’étaient plus des joies cérébrales. Il les sentait, charnelles, nues, comme mille belles femmes ardentes, collées à son corps brûlant.

Cependant, il ne s’agissait pas de la chair. Aujourd’hui, qu’il savait par Julie quelle forme avait le désir qu’inspire une femme, il était encore plus sûr de n’avoir jamais éprouvé ce désir pour Anna. Il se défendait même contre la seule pensée qu’Anna pourrait être Julie, car il s’était aperçu dès après le premier contact avec la jeune Hongroise que celle-ci avait cessé, pour un temps, de lui être désirable. Il en avait même été un peu déçu, très peu et pour un petit moment. Il ne fallait pour rien au monde que cela lui arrivât avec Anna ! Pas la moindre diminution et pas un instant ! Ce serait mortel pour son âme, il en périrait de chagrin. Anna était et devait rester la joie continue, infiniment diverse et intense. De même que Julie, élucidant par son don sa vision confuse de la femme, l’avait débarrassé d’une espèce d’envoûtement, de