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quelle répugnance m’inspire l’individu dont je ne puis retrouver l’analogue qu’après de longs efforts de mémoire ! Ma mémoire est si heureusement organisée qu’elle ensevelit dans de lourdes ténèbres le nom et la figure des méchants dont les actes ont offensé mon cœur ou ma raison ; à la moindre occasion elle les plante là et se détache d’eux avec une admirable légèreté. Je vous remercie, chère mère Nature, de m’avoir fait ce présent d’une profonde apathie pour les ressentiments particuliers. Les impressions spontanées me molestent bien plus que les souvenirs. Voilà pourquoi je crains tant les personnes dont je ne puis dire bien vite : Oh ! toi ! je te sais, je te tiens, tu es de la famille. Combien de fois dans un salon, dans une boutique, dans la rue, j’ai rencontré de ces figures qui m’ont donné le frisson et la douleur au foie, sans s’en douter le moins du monde ! Ce sont pour moi des méchants esprits échappés d’un monde antérieur où peut-être j’ai été leur victime, et s’ils allaient me reconnaître et s’acharner encore après moi dans cette vie ! Mais quand j’ai retrouvé leur ressemblant, je ne suis plus en peine, je ne leur en veux plus. Presque toujours ce ressemblant est un mauvais garnement, puisqu’il est venu tard à mon appel, mais que m’importe ce nouveau venu qui porte sur ses traits l’empreinte de leurs malices ? Le voilà démasqué, je ne saurais le craindre, un mur est entre nous pour toujours, car je sais que ma confiance s’était là mal placée, mais je puis être bienveillant et bon pour lui. Je le plains, je connais la plaie de son âme, l’écueil de son avenir, l’abîme de son passé. Être infortuné, tu n’es point heureux parce que tu n’es pas bon !

Mais au contraire quelle vénération m’inspirent certaines figures ! Quel charme il y a pour moi dans certains sons de la voix humaine, quelle confiance entière et subite provoquent en moi certains regards, certains sourires qui me rappellent un ami mort ou absent !

Vous me direz peut-être que la ressemblance extérieure n’entraîne pas la ressemblance morale. Oh ! oh ! ceci est une autre affaire. Ce n’est pas parce qu’un trait dans le visage d’un honnête homme me rappellera le visage d’un fripon que je croirai à l’analogie complète de caractère, mais à coup sûr ce trait rappelle quelque chose du caractère du fripon,