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Piffoël, Pifïoël, quel calme effroyable dans ton âme ! Le flambeau serait-il éteint ?

« Je te salue, Piffoël plein de grâces. La sagesse est avec toi. Tu fus élu entre toutes les dupes ; le fruit de ta souffrance a mûri. Sainte fatigue, mère du repos, descends sur nous pauvres rêveurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Ainsi soit-il. »

Songe, Piffoël, que te voici arrivé sur une des cimes de la montagne. Il faut prendre ta volée vers les nuages, ou rouler dans les sentiers pierreux déjà trop connus. Redescendre ou monter ! Ce serait un beau point de vue si tu étais fort. Mais les plumes de l’aile tombent aux vieux corbeaux. Attends et regarde au fond de la vallée, car le ciel s’est fermé et tu n’as plus à apprendre de lui que les secrets de la mort.


soleil brûlant, tilleuls étincelants, immobiles


13 juin.

Faut-il se dévouer en tout, à toute heure, sans réserve, gaîment, fortement, saintement ? Faut-il adjurer toute vanité, s’exposer aux lazzi du public, à sa haine, à son injuste mépris, à l’abandon de la famille et des amis, à l’indigence, à la fatigue, à la persécution ? Faut-il sacrifier même l’amour de l’art et s’abstenir de vivre par la pensée ? Faut-il accepter des défauts révoltants, des vices, même les couvrir de mystère vis-à-vis de son propre jugement ? Faut-il faire plus, faut-il les aimer et se les inoculer, à soi, esprit calme et désintéressé ? Faut-il, baigné de sueur, courir dans la nuit glacée pour satisfaire un caprice, pour épargner, un instant de contrariété ? Faut-il être, pour l’objet qu’on aime, aussi aveugle, aussi dévoué, aussi infatigable qu’une mère tendre l’est pour son premier né ? Non, Piffoël, il n’est pas besoin de tout cela, et tout cela ne sert à rien sans un peu d’adulation..

Tu t’imagines, Piffoël, qu’on peut dire à l’objet de son amour :

Tu es un être semblable à moi, je t’ai choisi entre tous ceux de mon espèce parce que je t’ai cru le plus grand et le meilleur. Aujourd’hui, je ne sais plus ce que tu es. Il me semble que, comme les autres hommes, tu as des taches, car souvent tu me fais souffrir, et la perfection n’est pas dans l’homme. Mais j’aime tes taches, j’aime mes souffrances. J’aime mieux tes