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l’élève

que son aspect dévoilât cette habile politique, s’abstenait de le faire paraître en public à la maison. Cette façon d’agir était assez logique, car ceux des membres de la famille qui devaient paraître avaient besoin d’être brillants.

Pendant cette période et dans la suite, Pemberton se rendait très bien compte de l’impression que son camarade et lui produisaient, alors qu’ils erraient languissamment et sans but au Jardin des Plantes, ou s’asseyaient les jours d’hiver au Louvre, comme ceux qui veulent profiter du calorifère dans ces galeries dont la splendeur est ironique pour les gens sans asile. Ils en plaisantaient parfois. C’était une espèce de plaisanterie tout à fait à la portée de l’enfant. Ils se figuraient faire partie de la vaste et vague multitude qui vit au jour le jour dans l’énorme cité et affectaient d’être fiers de la situation qu’ils y occupaient. Cela leur faisait voir beaucoup de choses vécues et leur donnait l’impression d’une espèce de fraternité démocratique. Si Pemberton ne pouvait s’apitoyer sur le dénuement de son petit compagnon (car après tout les tendres parents de Morgan ne l’auraient jamais laissé vraiment souffrir), l’enfant pouvait au moins sympathiser avec lui, ce qui revenait au même. Il se demandait quelquefois ce que les gens pensaient d’eux et s’imaginait qu’on les regardait de travers comme si on eût soupçonné un rapt d’enfant, car Morgan n’était pas assez élégant pour être pris pour un jeune patricien accompagné de son précepteur, encore qu’il pût passer pour le petit frère maladif de son compagnon. Il possédait de temps en temps une pièce de cinq francs et, à l’exception d’une fois où il avait acheté deux ravissantes cravates et forcé Pemberton à en accepter une, il la consacrait méthodiquement à l’achat de vieux livres. C’était là un grand jour, invariablement passé sur les quais, à fourrager dans les boîtes poudreuses qui garnissent les parapets. Ces aubaines les aidaient à vivre, car leurs livres avaient été vite épuisés dès le début de leurs relations. Pemberton en avait beaucoup en Angleterre, mais il avait été obligé d’écrire à un ami pour lui demander de vouloir bien trouver quelqu’un qui lui en donnât quelque argent.

S’ils durent cet été-là renoncer aux bienfaits du grand air, le jeune homme ne put s’empêcher de soupçonner que la