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— Peut-être bien. Et je suppose que vous avez idée que je devrais m’écarter du trajet de cette saloperie ?

Le capitaine Mac Whirr parlait avec la plus grande simplicité d’attitude et de ton, en fixant le linoléum du plancher d’un air grave. Aussi ne vit-il pas se peindre sur la face de Jukes un mélange de dépit et d’étonnement respectueux.

— Eh bien ! voilà ce livre, n’est-ce pas ? continua-t-il délibérément en faisant claquer sur sa cuisse le volume fermé. Je viens justement d’y lire le chapitre sur les tempêtes.

C’était vrai. Il venait de lire le chapitre sur les tempêtes. Ce n’était pourtant pas dans cette intention qu’il était entré dans la chambre de veille. Mais quelque influence dans l’air – la même influence sans doute qui avait poussé le steward à monter les bottes et le ciré du capitaine dans la chambre sans en avoir reçu l’ordre – avait pour ainsi dire guidé sa main vers la planchette ; et, sans avoir pris le temps de s’asseoir, avec un conscient effort, il s’était plongé dans la terminologie savante. Il se perdait parmi les « demi-cercles maniables » et les « demi-cercles dangereux », les quarts de cercles droits et gauches, les courbes des orbites, la trajectoire du centre et le gisement probable de celui-ci, les sautes de vent et les hauteurs du baromètre. Il essayait d’amener toutes ces choses en relation directe avec lui ; mais la colère l’avait enfin envahi contre une telle avalanche de mots, contre tant de conseils, un travail si purement cérébral et des suppositions sans une lueur de certitude.

— C’est la chose du monde la plus endiablante, Jukes, dit-il. Si un malheureux s’avisait de croire tout ce qu’il y a là-dedans, il passerait le plus clair de son temps à essayer de contourner le vent.

Il frappa de nouveau le livre contre sa jambe ; Jukes ouvrit la bouche, mais ne dit rien.

— Courir pour contourner le vent ! Vous saisissez cela, monsieur Jukes ? On ne peut rien imaginer de plus fou ! (Le capitaine s’interrompait par instants pour contempler attentivement le parquet.) On pourrait croire que c’est une vieille femme qui a écrit tout ça. Cela me dépasse. Si cette chose-là prétend être utile à quoi que ce soit, je devrais, suivant elle, changer immédiatement ma route pour filer quelque part au diable et me précipiter