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AU PAYS DES PIERRES

— On lui a tout de même ordonné de revenir ; pourtant il ne le voulait absolument pas !

Jella aussi se mit à rire. Elle croyait n’avoir jamais ressenti un aussi grand bonheur.

— Et quand revient-il donc ?

Elle aurait voulu courir au devant de Pierre.

L’homme murmurait d’un air de bonne humeur, tout en avançant. Il était content de la vie, content de lui-même ; comme quelqu’un qui médite une grande surprise il releva mystérieusement ses sourcils sous la visière de sa casquette.

— Mais il y a encore une autre nouvelle !

Les genoux de Jella tremblèrent tout à coup sans raison.

— Quelle nouvelle ?

Sa voix devint étrangement rauque. Pierre se remit à lire la lettre, puis, comme si on l’avait volé, il heurta du doigt, avec mauvaise humeur, le papier.

— Ah ! Ah ! Ce n’est pas une nouvelle pour toi ! Tu ne m’avais jamais dit qu’André te l’avait écrit.

Jella s’impatienta. La joie de Pierre l’agaçait. Elle cria presque durement :

— Il ne m’a rien écrit. Je ne sais même pas lire !

Et pendant une seconde, elle se souvint de la lettre d’André qu’elle avait enfouie dans la forêt.

Le visage de l’homme se rasséréna.

— Bien sûr !… Hé bien, alors…

Le timbre avertisseur se mit à sonner dans la chambre de service. Pierre se hâta. Il dit rapidement, en se retournant pendant qu’il roulait dans sa main le petit drapeau rouge :

— Il sera ici dès demain. Il passera là devant nous, avec le train. À midi, il sera déjà revenu ici, à pied, de la station. On marche plus vite à deux. Car en fait, il ne revient pas seul…

Le front de Jella se couvrit de sueur par l’effet de la crainte et du tourment. Pierre avait abaissé la barrière et il était revenu. Sa joie était si grande qu’il n’avait pas cessé de sourire…

— Pas vrai ! Je t’ai toujours dit que ça finirait ainsi !

Et il se rappela qu’il n’avait jamais rien dit de tel.

Jella tendit le cou tout raide, comme si elle attendait un choc épouvantable qu’on ne peut éviter.