Page:Revue de Paris - 1913 - tome 5.djvu/867

Cette page a été validée par deux contributeurs.
861
AU PAYS DES PIERRES

n’avait ni faim, ni froid, lorsqu’on n’était pas malade. Son corps fondit, son visage se creusa, et comme si le grand feu qui brûlait auparavant dans ses yeux y avait laissé de fumeuses traces dévastatrices, des ombres tristes s’assombrissaient sous ses cils.

Septembre passa. Un soir Pierre lisait près de la lanterne, appuyé sur la table.

— C’est d’André. — Et il rejeta la lettre avec mauvaise humeur.

Jella s’appuya contre le chambranle de la porte et retint sa respiration comme si elle avait craint d’être trahie par son souffle.

Pierre reprit la lettre dans ses mains.

— Il est de nouveau malade. Il aimerait qu’on le laissât définitivement chez lui.

La voix tranquille de l’homme pénétra dans la tête de Jella comme un bruit aigu. Elle ne comprenait pas comment elle pouvait se tenir aussi droite, lorsque le seuil s’effondrait sous elle. Sa bouche se contracta.

— Alors, il ne veut même plus revenir ?

C’est ce qu’il écrit, — dit Pierre avec amertume — et pourtant, Dieu voit mon âme ! j’aimais cet André comme mon fils.

— Ton fils ?

Jella le regarda un moment sans comprendre, puis baissa la tête. Elle se sentit fatiguée, tout à coup, comme si elle aussi était vieille comme Pierre, comme si elle avait assez vécu ; comme si elle devait mourir bientôt.

Cette nuit encore, elle ne put dormir. Au dehors, de lourds trains de marchandises allaient et venaient. Les lanternes projetaient des rayons vacillants vers la femme. Elle était couchée les yeux ouverts. Elle regardait les rayons trembler sur la table, sur la couverture du lit, sur ses mains, et à travers le mur ils s’élançaient vers les ténèbres. Les timbres avertisseurs recommençaient à sonner sur le toit. Toujours de lents et noirs wagons se poussaient. Les crampons et les chaînes pendantes se heurtaient avec un bruit de cliquetis contre les traverses. Comme la nuit était cruelle et longue ! L’express secoua une seconde la maison du garde. Devant les fenêtres,