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LA REVUE DE PARIS

— Je ne peux plus ! Je ne peux plus !

Et un grand sanglot déchira sa poitrine.

Le gars se tourna vivement vers elle. Il ne la comprenait pas. Le monde des hauteurs vertigineuses et des sombres profondeurs lui était toujours resté inconnu.

Il regarda longtemps Jella, et, dans la forêt gémissante, il prit doucement congé d’elle. Lorsqu’en son tourment infini, la femme releva la tête, leurs regards se croisèrent.

— Andrya, donne-moi quelque chose qui me fasse vivre. Dis enfin que tu reviendras.

Le jeune homme était las ; il aurait voulu partir.

— Je reviendrai…

Sa respiration s’arrêta. Pourquoi prononcer ces mots puisqu’il ne voulait plus revenir ? Il crut mentir et se méprisa. Il regarda Jella comme pour démentir ses paroles, mais la femme qui avait toujours été soupçonneuse, était crédule à présent, crédule par désespoir. Et André n’osa pas lui reprendre cet unique mensonge qui lui avait fait plus de bien que toute la vérité d’autrefois.

— Dieu te bénisse !

Ils ne se dirent plus rien. Le soir Jella se tint seule, sur le talus. Loin, au-dessus des rails, une petite lueur vacillait et s’éloignait vers le tunnel.

Quelqu’un était parti.



XXX


La pendule faisait, lentement, lourdement, tic-tac dans la maison de garde, et le son s’entendait partout, comme si du plomb tombait goutte à goutte sur le sol.

Il y avait dans la tête de Jella un trouble sourd qui l’empêchait de penser et elle éprouvait la sensation d’avoir reçu dans la poitrine un grand coup dont la douleur était encore vague. Elle avait été blessée et n’osait regarder la blessure. Elle redoutait la minute où elle allait se rendre compte de tout. Parfois, il lui semblait qu’elle aussi était partie, et se trouvait ailleurs, — quelque part, au loin, et elle ne pouvait retrouver le chemin qui la ramènerait à elle-même.