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LA REVUE DE PARIS

appuya sans force sa tête contre le mur et chaque goutte de son sang apprit lentement, de son cœur, qu’André allait s’éloigner d’elle.



XXIX


Depuis le matin, un orage s’amoncelait au loin, dans les montagnes, mais la forêt restait encore immobile, comme si l’air oppressé avait suspendu sa vie quelque part. Parmi les arbres une pomme de pin se détacha avec un bruit sourd, élastique. De menues aiguilles d’or desséchées tombèrent à sa suite, à travers l’âpre éclat du soleil, et leur chute s’entendit dans le silence angoissé, plein d’attente.

Le vent, précurseur de l’orage, siffla tout le long de la crête des montagnes. Les arbres commencèrent à s’agiter dans la sapinière. Leur lourd feuillage vert se balança lentement ; les troncs s’inclinèrent en craquant ; puis, comme si l’on avait soulevé leurs racines sous la terre, la mousse ondula.

Jella releva brusquement la tête et regarda André.

Il y avait longtemps qu’ils ne s’étaient trouvés seuls ensemble. Depuis que Jella avait malmené le chien, le jeune homme ne lui avait jamais plus parlé. La colère montée à ce moment en lui s’était calmée, mais l’avait séparé de la femme. À présent encore, il se tenait à ses côtés comme un étranger, et pourtant, dans cette minute, ils avaient la même pensée.

Elle obsédait Jella, dans une inquiétude folle ; les paroles entendues près du hangar la torturaient sans cesse. Elle se pencha vers André. À présent que le gars était si près, qu’elle pouvait le toucher de la main, elle ne pouvait concevoir qu’il voulût la quitter. Sa voix se fit molle et chaude :

— N’est-ce pas que tu ne t’en iras pas d’ici ?

Le jeune homme poussa un soupir d’allègement. Lui aussi voulait parler de cela, mais ne savait comment commencer. Il se tourna vers Jella. La blouse de service ballottait sur lui. La fièvre avait marqué son visage. Il regarda avec lassitude