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AU PAYS DES PIERRES


Le soir, Jella attendit en vain devant la maison de Pierre. Elle attendit aussi en vain dans la forêt. Le jeune homme n’alla pas la rejoindre, et pourtant les chaudes journées d’automne étaient si rares !

Au début de l’hiver un vent froid souffla par les montagnes. Les nuages descendirent jusqu’à la maison de garde. On pouvait y plonger les mains. André décrocha du clou la veste de peau d’agneau. Il ne pouvait se réchauffer, même près du foyer.

Le dernier train de marchandises s’était déjà engouffré dans le tunnel du sud. L’obscurité avait absorbé l’éclat rouge de son fanal d’arrière. André entra dans la maison. Il s’assit près de l’âtre. Le bois vert pétillait ; Sajo respirait lentement dans le silence humide ; le gars avait froid ; ses dents s’entrechoquaient. Il jeta une nouvelle bûche dans le brasier. Dans ce mouvement, la manche de sa veste se releva. Son œil s’arrêta sur le cœur dessiné d’un trait bleu, qu’un soldat souabe avait tatoué sur son bras lorsqu’il était hussard. Il se rappelait la face du soldat ; elle était large et marquée de taches de rousseur, ainsi que sa main. Il lui avait payé quatre pièces blanches. Ils avaient bu à leur amitié sur la caisse à avoine, tant qu’André avait cogné sa tête dans la lampe d’écurie. Le verre de lampe appartenant au Trésor s’était brisé. Son front saignait… À présent, cette ancienne blessure redevenait douloureuse ! On aurait dit que la tête d’André en était encore tout étourdie.

Il voulut penser à autre chose. Mais il ne se rappela que le service : la couverture de cheval, jaune, que le grossier brigadier avait brûlée avec sa pipe. Des faces méchantes de hussards. Les carreaux fêlés des fenêtres de la caserne. Toutes sortes de choses qui depuis longtemps étaient sorties de sa mémoire. Puis, tout à coup, il se rappela le jour où on l’avait rendu à son village. Il avait pu emporter son bonnet rouge. Ses éperons sonnaient ; ses bottes neuves claquaient, et dans le dernier rang, une fille le regarda si joliment…

André releva la tête. Il était complètement seul, et pourtant il lui sembla que le visage de Jella surgissait devant lui, de la clarté du feu. Il s’essuya le front. Après tout, il n’avait rien promis à Jella.

De nouveau, tout s’embrouilla. Il vit s’élever dans un coin