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AU PAYS DES PIERRES

la table et une grande fille au visage brun attendait qu’il commandât quelque chose.

Il parut à Jella qu’elle revoyait cette fille. Elle avait maintenant aussi les mains sur les hanches…

— Lui as-tu parlé ?

— À qui ?

André ne comprenait pas ce qu’elle voulait.

— À elle, à la servante des aubergistes.

— Mais c’est elle qui a posé le vin devant moi !

Les yeux de Jella s’élargirent, comme s’ils avaient voulu voir plus qu’ils ne pouvaient saisir. Sa bouche devint dure ; sa face se crispa sous le coup d’une douleur singulière qui avait soudain mordu sa chair. Elle fut prise d’une grande et étrange jalousie qui n’était pas dans sa pensée, mais dans son corps : cette jalousie étranglait sa gorge, mordait par dedans sa poitrine. Exaspérée par son tourment, Jella enfonça ses ongles dans la paume de ses mains. Son souffle atteignit le visage d’André :

— Je t’étranglerai, si tu en aimes une autre !

Et elle dit encore autre chose, beaucoup de choses incompréhensibles. Elle ne savait pas d’où venaient les mots dans sa bouche ; ils arrivaient et elle devait articuler tout ce qui tournoyait dans son sang.

Le gars la regarda un instant bouche bée ; puis il se ressaisit et serra les dents. Il ne s’étonnait pas de ce que Jella disait ; mais devant ce visage changé de la femme, il sentit un choc à la poitrine.

La colère montait en lui, largement, ouvertement, comme l’orage chez lui, dans la plaine. Son poing se crispa lentement, et il jeta d’un seul mot, à la face de Jella, tout ce qu’il ressentait :

— Étrangère !

Il voulait se libérer. Pour bien marquer sa volonté, il rentra dans l’auberge.

Jella le regarda stupéfaite. Elle n’osa pas le suivre. Elle le craignit et l’aima encore plus que les autres fois.