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AU PAYS DES PIERRES

Jella alla plus loin, sur le sentier des chèvres, vers la forêt. La forêt la connaissait et le silence aussi. La forêt et le silence attendaient avec elle l’heure d’André. Toute sa vie appartenait à cette heure : les jours, les nuits, les montagnes, les arbres, et elle-même aussi.

Elle se mit à chanter au milieu des rochers. Cet été, elle chantait beaucoup. Auparavant, elle chantait seulement les paroles des airs, comme elles s’étaient gravées dans sa mémoire. À présent, elle se rendait compte que ces paroles parlaient d’amour. Elle rendait ainsi son secret plus léger, comme si elle avait confessé quelque chose, comme si elle avait chassé en chantant un peu de la grande chaleur brûlante qui assoiffait son âme. Le soir, dans la maison de garde, elle chantait également, quand elle attendait André. Et la forêt fut remplie d’amour. Puis Jella s’élança dans les fourrés chauds, comme si elle cherchait des étreintes parmi la foule des branches grimpantes, entrelacées. Au bord du ruisseau, elle s’asseyait sur la terre. Elle ne buvait pas, mais tenait seulement sa bouche à la surface de l’eau, longtemps, longtemps, car ses lèvres aimaient la palpitation des petites ondes. À ces moments, elle pensait encore à André, et son sang, rouge et brûlant riait dans son corps. Ensuite, elle essuyait son visage dans la mousse, et lorsqu’elle atteignait une fleur avec ses dents, elle l’arrachait de sa tige d’une morsure, comme si elle avait voulu sentir insatiablement entre ses lèvres les fleurs de cet été.

Quelque part, sous les pas de quelqu’un, un caillou roula sur la pente de la montagne. Jella se releva d’un bond. Une clarté fluide, un rayon de soleil brûlant, exultant, déborda de ses veines.

— M’aimes-tu ? — cria-t-elle dans la forêt, et elle s’élança avec un irrésistible abandon dans les bras du jeune homme.

Elle était belle et coupable, depuis sa sauvage chevelure cuivrée jusqu’à ses pieds.

— M’aimes-tu ?

Un instant, elle se dressa comme si elle voulait écouter dans la poitrine d’André. Puis elle se colla à lui, l’enlaça ainsi qu’une plante sylvestre assoiffée ; elle le serrait, l’étouffait, comme si dans son obscur désir embrasé elle cher-