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LA REVUE DE PARIS

La femme s’appuya au poteau de télégraphe et se mit à frotter lentement, avec ses pieds nus, l’herbe mouillée.

La nuit était grande et tranquille ; on entendait par moment une rumeur singulière qui venait de la forêt, comme si les rayons métalliques et bleus de la lune s’étaient rassemblés au milieu des arbres.

André sentit tout à coup qu’il ne pouvait plus fixer le sol ; il était contraint de lever les yeux ; il devait regarder Jella, à présent, tout de suite. Et il se redressa en gémissant :

— Que cherches-tu ici ? — demanda-t-il rudement, et cependant, il aurait voulu être doux pour la femme.

Jamais il ne l’avait vue comme à cette minute. Son visage était étrangement mince dans le clair de lune. La force juvénile, non encore usée, rendait désirable son corps harmonieusement beau.

Une onde lente, dangereuse, s’éleva dans la poitrine du gars. Tous ses membres lui faisaient abominablement, insupportablement mal. « Qu’est-ce que cela signifie ? » pensa-t-il avec désespoir, et il aurait voulu battre la femme. Car elle était la cause de toute sa douleur. Il se mit debout d’un bond. Il essaya de jurer pour se soulager, mais sa gorge se resserra, comme si l’on avait jeté une courroie sur son cou.

— Va-t’en ! — dit-il sourdement, lorsqu’il put enfin parler.

Son regard était hostile et dur. Jella ressentit comme un coup sur la figure.

— Va-t’en !

Et pourtant, André ne voulait déjà pas dire cela. Ces mots, reste de sa pensée précédente, s’attardaient dans sa bouche. « Va-t’en ! » Et ses mains qu’il retenait, empoignèrent fébrilement les épaules de la femme. Il la serra un instant contre lui, puissamment, violemment, comme s’il avait voulu la briser en deux sur sa poitrine ; puis il la lâcha soudain.

Ils se regardèrent, immobiles, avec effroi.

Le jeune homme passa sa main sur son front. Il sentit son visage se crisper, et il se détourna obstinément pour que Jella ne vît pas sa misère. Un mécontentement honteux creusait son être, et comme si on l’avait poussé par derrière ; il sauta par-dessus les rails, il se mit à marcher vers la forêt, là-bas, dans