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LA REVUE DE PARIS

Jella fit le signe de la croix. Elle se pencha sur le rebord des rochers en retenant sa respiration.

En bas, une plaine infinie luisait, colorée en bleu, comme si l’on avait forgé, dans la courbe des montagnes arides, une puissante plaque d’acier. Et dans la plaine nageaient des flocons blancs aux ailes d’oiseaux.

« C’est peut-être la puszta », pensa Jella, et son visage prit une expression hostile. Puis ses traits se rassérénèrent lentement. De lointains souvenirs commencèrent à sourire en elle — images anciennes oubliées ! — : filet aux reflets argentés sur une rive sablonneuse ; coquillage blanc ; ondes bleues, fuyantes… Elle ferma les yeux pour mieux revoir et écouta ce que sa bouche articulait :

« La mer ! »

Elle la reconnut ! La plaine couleur de ciel, là-bas, dans le vide, était la mer de Giacinta !

Elle se rappela tout, et de nouveau elle fut près de sa mère, tout comme autrefois, auprès du feu, lorsque dans un demi-sommeil, et même les yeux fermés, elle sentait sa présence.

Elle savait, sans délibération, qu’elle retournerait ici une autre fois. Jamais elle n’avait porté de fleurs à la tombe de sa mère, et maintenant, elle arracha tout à coup de son sein les violettes des monts neigeux. Elle les jeta dans le vide, loin, comme si elle avait voulu semer les fleurs sur la mer.

Le soir, elle s’assit près du feu, silencieuse. Pierre mit le fanal dans un coin, d’un geste fatigué. Il commença de bourrer sa pipe.

— À quoi penses-tu ?

Jella sursauta, comme si elle revenait de loin, et regarda en l’air avec trouble.

— À la mer…

— Tu l’as vue ?

La femme enfant fit un signe d’assentiment.

— Comme les montagnes sont arides par là — son visage s’anima tout à coup — ; tout est si sauvage là-bas !

— Et pourtant, j’ai entendu dire — grogna Pierre, pensif, — qu’au temps jadis, il y avait aussi là des forêts. Des peuples marins ont coupé les arbres. Ils en ont construit une ville dans l’eau.