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LA REVUE DE PARIS

Jella n’entendit pas les paroles. Une seule idée lui traversait l’esprit

— L’as-tu déjà battue ? — demanda-t-elle, et ses yeux brillèrent dangereusement.

Jovan Zura ouvrit la bouche plus grande.

— De qui parles-tu ?

— D’elle.

Jella fit, du menton, un signe vers la cahute.

L’homme dut se rappeler quelque chose. Il enfonça nerveusement son talon dans la terre détrempée. L’eau sale éclaboussa de noir son pantalon retroussé jusqu’aux genoux. Puis il se leva et à grandes enjambées paresseuses il descendit dans l’excavation. Au bout d’une seconde il disparut parmi la fumée qui, comme de la boue fondue, s’échappait en se pelotonnant par les ventilateurs du cône charbonnifère.

C’est ce qu’attendait la femme. Elle sortit de la cahute, sale et dépeignée.

— File ! — dit-elle en balançant lentement ses hanches ; — ici, il n’y a pas de pain pour trois !

Jella la regardait avec dégoût.

Elle répondit en la défiant, du haut de l’épaule :

— Mon père seul peut me renvoyer d’ici.

— Ton père ! Il pourrait tout aussi bien être le mien !

La femme ricana bêtement, méchamment.

— Il n’a jamais été le tien ! Fille de personne, toi !… Ta mère n’en avait honte que devant toi. Voilà pourquoi elle avait payé Jovan Zura pour qu’il se taise ; voilà pourquoi elle supportait ses coups ! Elle était bête comme ma semelle !

La femme parlait vite, d’une manière saccadée et il y avait dans ses yeux l’impitoyable expression avec laquelle l’animal lutte pour sa pitance. Jella, comme frappée à la tête, se taisait, impuissante, prise de vertige.

En un clin d’œil, elle se remémora ce qu’autrefois Jovan Zura avait dit à sa mère lorsqu’il réclamait de l’argent, lorsqu’il croyait que l’enfant ne pouvait entendre. Et si cette femme ne mentait pas ? Elle serra convulsivement ses deux mains contre son sein et s’élança après l’homme. En bas, dans la noire crevasse, elle se trouva en face de lui. Elle lui cria en haletant :