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AU PAYS DES PIERRES

parfums fondus dans la chaleur. Un sentier s’ébauchait au milieu des troncs ; puis la forêt s’ouvrait.

Une barrière blanche barra la route à la fille. Au delà, il y avait un talus et, posées sur des traverses, deux lignes noires tournaient. Le soleil les touchait par places et elles brillaient alors, comme un fer de faux.

Les yeux de Jella suivaient les deux lignes qui disparaissaient au loin dans une caverne. Elle se pencha pour épier. Devant la forêt, se dressait un mur de roc nu ; l’escarpement s’enfonçait en bas, dans le vide. Plus haut que le talus, verdoyaient les sommets de sapins. En deçà, près de la barre obscure de la forêt, il y avait une maisonnette. Trois arbres tordus, une clôture, un banc.

Un homme était assis sur le banc et fumait sa pipe. Quand il aperçut Jella, il ôta la pipe de sa bouche et fit un signe du côté de la fille.

Il n’en fallait pas plus, à cette minute, pour que Jella vît, dans ce geste indifférent, une protection, une invitation, tout ce qui était bon et qu’elle désirait. Elle recommença de courir, toujours plus vite, apeurée, vers l’homme, et en arrivant près de lui, elle se retourna, terrifiée, puis s’effondra sur le banc. Sa tête sans force buta contre le mur ; elle ne pouvait tenir ses yeux ouverts.

Lorsqu’elle releva les paupières, l’homme était debout, devant elle et la considérait gravement. Il ne disait rien, il n’interrogeait pas, et cependant, Jella comprit qu’il la plaignait. Alors monta en elle cette pitié ineffable, que l’homme ne peut éprouver que pour lui-même. Ses maigres petites épaules s’appuyèrent au mur. Des larmes coulèrent, lentement, à son insu, le long de son visage d’une jeunesse émouvante.

L’homme avait une espèce de honte de son impuissance. Il était certain que la fille souffrait. Pourquoi la regardait-il sans rien faire ? Il se détourna. Il écrasa maladroitement une motte avec son talon. Il pensa qu’il fallait agir. Mais comment ? Il ne savait. Il fit tomber de sa pipe le tabac brûlant et entra dans la maison.

Après un instant, il apporta du pain et un pot de lait caillé. Quand il les eut posés sur le banc, il se pencha. Il était tout près de la fille. Il entendait sa respiration effrayée.