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AU PAYS DES PIERRES

beaucoup bu ce jour-là. Il vit rouge et empoigna l’épaule de Jella, comme s’il avait voulu la broyer.

La fille gémit sous la douleur.

— Ne me fais pas de mal !… On nous regarde !… Que veux-tu donc ?

Davorin se pencha sur son visage, si près qu’ils ne se voyaient plus :

— C’est toi que je veux !… N’es-tu pas la fille de ta mère ?

— Jamais ! — cria Jella de toutes ses forces, afin qu’on l’entendît aussi là-bas, et elle lança son poing entre les deux yeux de Davorin.

Le gars fit siffler son gourdin. Comme elle n’était pas atteinte, il éclata d’un rire excessif, menaçant.

Ses compagnons rirent aussi devant la porte de l’auberge, ce que Davorin ne put jamais leur pardonner. Chaque fois qu’il apercevait Jella, et que Branco et les deux douviers l’excitaient en ricanant, il serrait les dents :

— Elle s’en repentira !



VIII


En haut, sur les flancs du Javorjé, le sang des roses sauvages tombait déjà dans l’herbe. Le chaud soleil dardait sur les versants. Le vent ne parvenait qu’à peine jusqu’au sol. Jella savait qu’il soufflait alors, sur les hauteurs, car le soir, les étoiles, grosses comme le poing, scintillaient dans le ciel bleu d’été.

Il était midi. Les gars s’étendaient, couchés sur le dos, au bord de la clairière. Jella avait de l’herbe jusqu’aux genoux. Un rayon brillait sur l’écorce d’un tronc mort, argenté. Tout près, une cruche de terre était posée. La fille l’aperçut, lorsque le petit cabri noir sauta dessus. La cruche fut renversée et l’eau se répandit en glougloutant sur la terre desséchée. Dans le voisinage, quelque chose remua. Le long Branco s’accouda près de Jella ; quand il la vit, il saisit sa jupe, il l’attira à lui en riant.

— Viens un peu, ma petite âme !…