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LA REVUE DE PARIS

dirigea en tâtonnant vers l’âtre froid. Elle se souvint ; sa mère gardait les allumettes là, sur la planche, dans un pot sans anse. Sa main toucha d’abord la galette de maïs, et dans le silence, elle entendit de nouveau les paroles de sa mère : « Il y a encore du pain pour ce soir. » Mais ces pauvres mots, qui revenaient comme un écho, lui semblaient encore plus tristes. L’odeur de l’allumette soufrée lui monta au nez. Ses yeux pleurèrent. Les fascines fumèrent, pétillèrent, s’enflammèrent. Leur lueur éclaira la petite chaise de bois, usée, sur laquelle sa mère avait fait tant de filets.

Jella jeta un coup d’œil en arrière, comme si elle devait regarder dans les yeux sombres, vides, de quelqu’un qui l’attendait à la maison et qu’elle ne connaissait pas jusqu’ici.

Le pain ne lui parut pas bon, et pourtant elle avait faim ; elle ne pouvait se reposer sur le lit, et pourtant elle était fatiguée. Ses membres lui faisaient mal, elle avait froid sans sa mère et pourtant le baiser sauvage de Davorin lui brûlait le cou. L’aimait-elle ? Elle ne le savait pas ; mais elle pensa que s’il était là, maintenant, peut-être lui rendrait-elle son baiser… Puis cependant, elle en essuya la place sur son cou. Le mouchoir rouge de Giacinta se trouva sous sa main. Elle le regarda tristement, et il lui parut qu’un peu de sa mère était revenu auprès d’elle.

Dans un coin, la chèvre haletait régulièrement. Près du foyer un grillon se mit à chanter. Sa mère connaissait ce grillon. Hier, il chantait, aujourd’hui aussi… Jella n’eut plus peur. Elle s’endormit.



VI


Ce jour où l’on avait chassé sa mère resta dans le souvenir de Jella comme un grand vide effrayant, auquel elle dut penser toujours. En revenant des montagnes, souvent, en chemin, elle s’asseyait sur les pierres et se tourmentait en se demandant pourquoi sa vie était différente de celle des autres. Mais elle n’arrivait jamais à formuler une réponse. Elle accusait les hommes d’être la cause de tous ses chagrins, et pour