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LA REVUE DE PARIS

haïssaient depuis longtemps, — les femmes — s’étaient liguées contre elle, car les hommes ne la protégeaient plus.

En bas, sur la grande route, un chariot cahotait. Le roulier fit en se retournant un geste indicateur et cria quelque chose. Les chaînes et les roues grincèrent. Personne ne comprit ses paroles, mais tous les yeux suivirent la direction de sa main. Jella et sa mère regardèrent aussi de ce côté. Sur la crête, deux plumets verts, flottants, émergèrent. Des gendarmes venaient de la forêt. L’éclat du soleil s’allumait et s’éteignait d’un éclair identique sur l’acier des baïonnettes mises aux fusils.

Devant l’église, on oublia un instant Giacinta. Il se fit un silence lourd, angoissé, le silence qui naît entre beaucoup de gens qui s’unissent pour la dissimulation. Les hommes enfoncèrent leurs chapeaux sur leurs yeux ; presque tous avaient une faute sur la conscience ; chacun avait quelque chose à cacher. La vue des gendarmes avait arrêté les paroles dans leur gorge. Sait-on jamais qui peut être emmené par la force, loin du village ?

En bas sur la route, on entendait déjà distinctement les lourds pas militaires. Nul ne respirait plus : long moment de cruelle incertitude. Puis un allégement sur les visages immobiles, terrifiés. Les gendarmes continuèrent avec indifférence leur chemin, au bas de l’église, et franchirent le porche du tonnelier.

— Ils sont venus pour Franjo !… qui l’a dénoncé ?

Jella respira aussi. Elle ne savait pas pourquoi, mais comme les autres, elle avait peur des chapeaux à plumets.

— Cette mauvaise gale est cause de tout ! — grommela, furieuse, la belle-sœur de Slatka. — Franjo aussi bat sa femme depuis qu’il l’a rencontrée !

Dans les derniers rangs, on n’entendait pas ses paroles, et les plus proches savaient fort bien que, toute sa vie, le tonnelier avait battu sa femme ; mais comme l’exaltation surgie après la peur cherchait une victime, la colère se tourna de nouveau contre Giacinta.

Des poings rudes, poilus, se levèrent ; des mains rouges de femmes gesticulèrent dans l’air ; des jurons étouffés, des imprécations réprimées retentirent, et un vaurien, encouragé, jeta une pierre à l’italienne. Giacinta, poussant un cri aigu,