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LA REVUE DE PARIS

grandes boucles d’oreilles rondes en or, et de jeunes gens inconnus qui quittaient la maison au matin.

Elle se remémora bien des choses, et pourtant, elle n’avait pas su jusqu’ici qu’elle s’en souvenait. Elle aurait voulu crier. Qu’on lui dît ce qui se passait, ici, autour d’elle ! Pourquoi les gens les regardaient-ils ? Pourquoi monsieur le curé les menaçait-il ? Qu’on le dise ! car elle ne comprenait pas, et tremblait, pourtant.

Les plus âgés, parmi les hommes détournèrent leur tête avec trouble. Les faces cuivrées, battues par les orages, disparurent sous les chapeaux. Les jeunes gens, curieux, se rapprochèrent. Les femmes se poussèrent satisfaites, et il parut à Jella que quelqu’un, derrière son dos, prononçait le nom de sa mère, « Giacinta ». Sa gorge se serra. « C’est d’elle que l’on parle ?… » Elle ne put y penser plus longuement. Des images confuses tournoyaient autour d’elle ; les gens, la chaire, tout vacillait, se balançait… La flamme des cierges dansa sur l’autel. Jella prit peur et ses yeux se fixèrent sur le Christ usé qui s’élevait devant les rangées de bancs et qui étendait ses deux bras blessés, sur la croix rouillée, avec une miséricorde triste. Et pendant que la fille terrifiée regardait ce Sauveur, qui avait tant aimé le monde, elle sentait dans sa poitrine une haine brûlante contre tous.

Le sermon était fini. Le prêtre se tenait debout, près de l’autel. Les voix slaves, nasillardes, emplissaient l’église. Monsieur le curé expédia rapidement la messe. Le Seigneur naquit et mourut en hâte sur l’autel.

Quelqu’un traversa toute l’église en traînant les pieds. Les gens qui étaient au fond se dirigèrent vers la sortie ; puis un remue-ménage se produisit aussi dans les premiers bancs. Le menu cliquetis des opanka se mêla au martèlement des bottes, aux pas claquants des pieds nus. Dans l’air réchauffé s’exhala de nouveau l’odeur de pommade rance et de cuir roussi.

Ceux qui se dirigeaient lentement vers le dehors entraînaient Jella et sa mère. La femme marchait tête basse. Son visage était blanc, les coins de sa bouche raidis. La fille regardait avec des yeux vides les dos ronds qui se poussaient vers le carré clair de la porte, et ne voyait rien.

Sous le porche, l’air printanier mouillé de pluie lui fouetta