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LA REVUE DE PARIS

habituée à l’air libre des grands sommets et la chaleur parfumée d’encens des murs clos lui donnait toujours envie de dormir. Sa robe de cretonne, à force d’avoir été lavée, lui rétrécissait les épaules. La lueur d’une bougie allumait un éclair métallique sur sa chevelure cuivrée, et ses yeux brillaient, entre ses paupières tirées, comme deux minces lignes sombres. Sa tête se penchait en avant. Son regard glissait, indifférent, vers les faces pieuses et bêtes, sur les cheveux huileux et tirés des filles. Sa mère était assise, ramassée sur elle-même et ne cessait de respirer le brin de sauge qu’elle avait apporté dans son livre d’heures.

En arrière, quelqu’un toussa, et l’on toussa aussi en avant, comme s’il y avait un écho… deux, trois personnes. Jella se mit à les compter ; ça, c’est la voix de Slatka ; ça, celle du fossoyeur. Le fossoyeur avait mal à l’oreille et portait toujours un mouchoir rouge autour de la tête. Les pointes du nœud branlaient ridiculement, à présent, dans l’ombre de la chaire. La fille faisait attention à tout, sauf à la prédication, et pourtant le curé déclamait de plus en plus haut, et sous la protection de sa voix tonitruante les vieilles femmes somnolaient toujours mieux, comme chez elles.

Jella faillit pousser un cri, dans sa joie. Elle venait de découvrir à terre un grillon qui grimpait gaiement parmi les empreintes boueuses des semelles ferrées et qui entraînait avec ses longues pattes l’eau sale, en une ligne zigzagante. La fille respira presque plus librement, comme si, avec ce grillon, la vie des grandes forêts paisibles était entrée chez elle.

Dehors, la pluie cessa. Le soleil se coula par la fenêtre en gerbe tranquille. Et le prêtre criait avec irritation du haut de la chaire. « Contre qui peut-il bien être furieux » ? pensa Jella, et elle releva ses longs cils. Il lui sembla que monsieur le curé s’était tourné vers elle. Il parlait du péché, gesticulait avec feu, et se courrouçait de plus en plus.

— Satan vous offre le péché ; Dieu, dans sa sagesse, vous offre la vertu ! Vous pouvez choisir librement, mais ensuite l’heure de l’expiation viendra !…

Ce discours ennuyait la jeune fille ; elle préférait regarder le grillon, sur le pavé piétiné. Le prêtre commença de parler des mauvaises gens, des femmes coupables :