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AU PAYS DES PIERRES

rappelle aussi des hommes étrangers qui chantaient comme toi tout à l’heure, et encore une vieille femme courbée…

La femme laissa tomber sa main sur ses genoux :

— C’était ma mère !

— Comme elle savait jurer ! Et elle portait toujours au cou un fichu jaune à franges ; elle m’en frappait lorsque ces hommes étrangers ne lui avaient pas donné d’argent.

Jella ferma les yeux. Elle se souvenait de tout, mais ne se rappelait plus le visage de sa mère.

Le crépi du mur se détachait, avec un bruit sourd, dans le coin sombre, et Jella pensait au coquillage, à la femme, à ce fichu jaune à franges…



III


Le son de la cloche se répercuta dans les montagnes mouillées ; la pluie ruisselait sur l’avant-toit de l’église.

À l’intérieur, tout le village se tassait dans les bancs. À droite les hommes, à gauche les femmes. Au premier rang étaient assis, bien pommadés et vêtus de noir comme aux jours de fête, le maire, le forgeron borgne, puis le maître d’école aubergiste qui rossait à l’école les gosses des paysans qui ne fréquentaient pas son cabaret. En ce moment, il était grave et solennel ; la sueur coulait en minces rigoles parmi ses rudes cheveux hérissés.

L’air s’alourdit dans l’église. L’odeur écœurante des opanka[1] trempées, des manteaux en gros drap humide, le relent de savon rance des blouses fraîchement lavées, se mélangeaient à l’encens.

Monsieur le curé s’avança vers la chaire. L’escalier grinça ; l’atmosphère dominicale se répandait dans l’église. Les paysans se raclaient le gosier comme s’ils avaient dû parler eux-mêmes. Puis le silence se fit, silence niais, plein d’attente. La voix du prêtre remplit la nef.

Jella était assise, somnolente, près de sa mère ; elle était

  1. Sortes d’espadrilles en cuir.