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— Vous voilà donc enfin, je vous trouve donc, ô vous les vrais Chrétiens, vous les plus ignorants, les plus grossiers des hommes et les plus aveugles, vous les Barbares ! Réjouissez- vous donc, car le plus pieux des Empereurs, le plus religieux des hommes, Julien, est mort !

D’abord ces hommes ne le comprirent pas et pensèrent qu’il se réjouissait comme eux de la fin de l’Empereur. Pourtant son air de mépris attirant leur attention, ils s’arrêtèrent et se demandèrent entre eux ce qu’il disait. Il ne les laissa pas attendre et reprit tout à coup :

— Venez, maîtres futurs de la terre, qui lui apportez les ténèbres, la nuit et la tristesse ; vous qui êtes voués au culte de la mort et qui portez pour étendard un gibet, que vous prenez pour un flambeau ; vous, les vrais croyants, qui ne doutez pas de ce qui vous est enseigné et qui adorez sans comprendre rien ; vous qui ne cherchez pas comme les Grecs une pensée sous un symbole et qui me regardez avec vos yeux à demi-ouverts sans me comprendre encore ! Venez et soyez glorieux : vous êtes vainqueurs, comme votre Galiléen l’est aujourd’hui, parce qu’il s’était proportionné à vous et vous a dit des choses grossières comme vos regards, vos formes, vos actions, vos sentiments et vos idées. Venez donc et soyez fiers, apportez, sur le monde que vous allez étouffer, le règne de l’homme qui dit : « Une place pour moi dans le ciel et je sacrifierai tout ; je m’éloignerai de mon frère s’il est faible. Si mon frère tombe, je le foulerai aux pieds et je me purifierai les pieds pour être digne d’entrer dans le tabernacle. Je massacrerai les innocents qui ne croient pas les mêmes choses que moi, afin de m’asseoir seul et tranquille dans ma chaise curule du ciel. Je dévorerai l’ennui, je dissimulerai mes meilleures amours, j’étoufferai mon cœur, je dessécherai ma chair pour obtenir une place dans le ciel. » — Le ciel te donner une place, ô Barbare ! le ciel pour ton âme de boue ! Crois-le, troupeau aveugle ! et fais périr tout ce qui avait embelli et parfumé la terre, fais périr l’idéale beauté, l’idéale vertu, l’idéal amour ! Tu portes bien la croix, Barbare, et tu as l’épaule assez forte pour t’en faire une massue informe et frapper devant toi ! Frappe-moi le premier, je t’en prie, car je te méprise, toi, ta race et la stupide folie de ta croix ! »