Page:Revue de Paris - 1912 - tome 4.djvu/366

Cette page a été validée par deux contributeurs.

entretiens. De longs silences encore me permirent de distinguer sur le sable les pas d’une grande foule. Puis les voix des enfants reprirent encore un chant mystérieux, triste, caressant comme celui d’une mère qui charme le berceau d’un fils mourant avec une chanson interrompue par des soupirs, des larmes et des sanglots. Je m’approchai par une allée détournée et je vis une longue suite de moines qui marchaient rangés sur deux files, au milieu d’eux des enfants, puis les vierges, puis les femmes et après elles les hommes, la tête nue et les yeux baissés. En avant de cette longue procession, quatre hommes portaient le corps de Babylas le martyr, qu’ils rapportaient à son tombeau.

La procession passait devant le temple de Daphné, le petit temple de marbre blanc, plus parfait que le Parthénon d’Athènes, et caché au milieu d’une touffe de lauriers[1]. Les portes en étaient fermées, et, sur le péristyle, j’aperçus un jeune homme pâle vêtu de blanc, que je reconnus pour l’esclave chéri de l’Empereur, celui même dont nous venions de lire la lettre, le stoïcien Paul de Larisse. Le chœur des moines d’Antioche ayant chanté le verset de notre psaume : Que Dieu se lève et que ses ennemis soient dissipés, Paul tourna le dos à la procession et s’écria, tendant les bras vers le temple : « Apollon, Apollon, Soleil-Roi, tu as reçu Julien parmi les Dieux, à la droite de Marc-Aurèle ! »

Les jeunes filles qui marchaient les premières s’arrêtèrent effrayées, mais, au regard et au geste d’un évêque, elles reprirent leur marche en silence, les moines ne cessaient de marcher les mains jointes et sans lever les yeux. Les cantiques recommencèrent.

Dans un long intervalle entre les chants, Paul de Larisse, voyant que les enfants étaient déjà loin, à la suite du corps, s’écria d’une voix claire, distincte, au moment où venaient les hommes d’Antioche :

— Julien, le grand Julien est mort pour nous. C’est lui qu’il faut pleurer !

Ceux-là passèrent encore après l’avoir considéré attentive-

  1. Voir la harangue de Libanius où il décrit ce temple. Julien le cite dans sa lettre trente-cinquième à Libanius, (Note de Vigny.)