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moins ridicules que les Césars faiseurs de poupées (je ne veux pas parler de Claude son aïeul, que Julien a bien traité pour ce motif très naturel qu’il est de son sang) ; mais les Dieux y sont fort petits auprès de Marc-Aurèle qui leur parle de l’idée, vraie ou fausse, qu’ils sont nourris de la fumée des sacrifices. Il a fait, de la mollesse et de la débauche, des déesses dont la dernière est chrétienne et offre le baptême à Constantin et à tous les meurtriers. Tu me pardonneras donc, Basile, j’en suis sûr, de ne pas croire qu’il ait pour le vieil Olympe une grande vénération et une sincère croyance dont le sentiment puisse être universel.

Julien rougit ; aucun de nous ne vit cette rougeur avec indifférence, et je compris alors combien il fallait que Libanius eût une intelligence sûre, inébranlable et pénétrante, et quelle force il sentait en lui, pour se résoudre à pousser à bout celui en qui reposaient les destinées du monde. Jean Chrysostôme regardait Libanius comme pour demander grâce, Basile avec une tristesse croissante, et Paul de Larisse avec une douleur inexprimable.

Julien avait penché sa tête sur sa main, et son coude était négligemment étendu sur la table. Il rêva, puis il sourit, puis il dit en attachant ses yeux sur les constellations brillantes qui tremblaient derrière les feuilles sombres des cyprès, des lauriers et des cèdres :

— Si le délire est divin et s’il est permis de le regarder comme tel, n’est-ce pas lorsque la mémoire des choses divines que notre âme a connues avant la naissance devient en nous si vive qu’il nous semble être rentrés dans le sein de la Divinité même ? N’avons-nous pas reconnu que le raisonnement est une arme aussi bonne pour l’erreur que pour la vérité ? Nous ne pouvons donc nous attester élevés jusqu’au sentiment du Vrai, du Beau et du Bien, que dans ces rares moments où notre âme, se souvenant de la Beauté céleste, prend ses ailes pour retourner en sa présence et la voir clairement devant elle, autour d’elle, se sent pénétrée de son amour, et ne voit rien dans l’univers qui ne soit tout illuminé des splendeurs de la Divinité. C’est dans ces moments, auxquels les prières nous conduisent, que nous pouvons vraiment dire avoir