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et lui tendit la main. Celui-ci s’avança lentement et mit sa main dans celle du maître qui, voyant sous son manteau entr’ouvert la saie des serviteurs, dit à Julien :

— Eh ! quoi ! Paul est-il donc toujours esclave ?

— Toujours et pour toujours, — dit Paul de Larisse, — mais plus libre que lui qui voulait m’affranchir malgré moi. Ma vie n’est pas en moi, mais en lui, et je n’ai voulu revenir à toi que lorsqu’il aurait tout accompli pour te voir satisfait.

Une morne consternation était écrite sur les traits de Libanius ; ses épais sourcils noirs s’étaient abaissés sur ses yeux rougis, bien plus avant que de coutume. Ses mains bleues et tremblantes cherchaient à se dégager des mains de Paul de Larisse, et il jetait sur Julien des regards de pitié ; et après un moment où nous crûmes qu’il allait enfin parler, il appuya lentement ses coudes sur la table et, prenant un pan de son manteau, il le jeta sur ses cheveux blancs et sur son crâne découvert, et se voila la tête et le visage entièrement.

Julien, surpris de plus en plus, nous regarda tous d’abord l’un après l’autre ; il paraissait chercher dans nos yeux le même étonnement que lui causait une aussi sombre réception. Ne trouvant dans nos regards qu’une tristesse qui semblait lui dire que nous savions le secret du silence et de la sévérité de Libanius, il devint lui-même profondément pensif. Le sourire et la rougeur légère de ses joues s’effacèrent tout d’un coup, ses yeux humides se séchèrent aussitôt, et devinrent sévères et tout empreints d’une multitude de pensées graves. Son visage semblait aussi immobile que le marbre, et il n’y avait plus de flamme que dans ses yeux ardents et au-dessus de ses sourcils, où deux traits profonds faisaient ressortir la largeur de son front avancé.

Adressant d’abord la parole à Paul de Larisse :

— Je te l’avais dit, ils ont vu ici ce que les tumultes de ma vie empêchent de voir et, par pitié pour moi, Libanius n’ose me le dire.

Puis à nous tous :

— Que croit-on donc ici que nous soyons devenus, pour ne plus pouvoir entendre vos idées dans leur âpre crudité ? Ne suis-je plus de Daphné comme vous ? Paul et moi sommes-nous donc des bannis, parce que nous avons agi, après avoir médité