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sonne ; ne crois pas que ce soit sans effort qu’une âme comme la sienne puisse rompre ce nœud dont les religions entourent et pressent notre enfance. Les prestiges merveilleux des cultes, qui sont excellents pour soulever de terre les âmes vulgaires, ont cela de fatal aux plus grandes âmes qu’elles les emportent trop haut. À l’âge où les rêves et les désirs s’échappent de nos esprits avec tous les amours et s’élèvent au ciel aussi naturellement que le parfum des plantes, on prend en passion telle merveille, enseignée au berceau, on la craint et on l’adore ; et, selon la force de son imagination, on ne cesse de doubler sa grandeur et ses beautés et de l’entourer des magiques peintures de son délire, jusqu’au moment où le rayon de la vraie lumière écarte les vapeurs éblouissantes et trompeuses. Julien a cru tout voir et n’a vu qu’à demi parce qu’il est trop dominé par sa mystique exaltation. Tu l’as rencontré bien désespéré à Nicomédie, Basile : eh bien ! les combats intérieurs qu’il livrait à sa croyance n’étaient pas encore achevés lorsque Jean le vit à Athènes dix ans après. Son amour du Christ luttait encore dans son cœur, et partout il le retrouvait, jusque dans les cris de Prométhée. Il est difficile de dire à quel point il lui est naturel de s’élever et de vivre dans les régions divines : n’as-tu pas remarqué, Basile, que ce n’est qu’avec effort qu’il en descend, tandis que chez le commun des hommes et même les plus habiles philosophes, l’effort est de se détacher d’en bas pour monter ? Les rares sentiments d’amour et d’amitié que nous avons connus de lui me semblent avoir été touchés en passant par son âme dans un de ses élans, et emportés sur son char dans ses voyages parmi les sphères et dans les régions supérieures. Si jamais une pensée eut des ailes, c’est assurément la sienne. Aussi tout lui est-il facile dans les choses de la terre. Il pourrait presque contempler face à face et sans cesse l’Essence, l’Essence véritable, autour de laquelle est la vraie science ; il y cherche sans cesse la sagesse, la justice et l’amour. C’est au moment où il était le plus enivré que les divisions des Galiléens l’ont troublé. Et par malheur, une imparfaite lueur de nos idées transmises par Paul de Larisse l’a saisi trop vivement, et il a rejeté sitôt qu’il l’a pu faire les langes chrétiens qui l’enveloppaient. Dès qu’il n’a plus vu clairement dans Jésus de Nazareth la Divinité pure et le Verbe