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croisés en jetant sur eux des regards terribles. Gallus le suivait la tête baissée avec un regard indifférent et presque stupide. En passant, il se pressa contre Julien et lui prit le bras d’un air suppliant. Nous nous souvînmes du massacre de leurs autres frères, et nous hâtant de nous retirer de peur de les perdre, par un intérêt trop marqué, aux yeux des affidés de Constance, nous marchions en silence, voulant nous cacher dans un faubourg de Nicomédie pour y attendre une occasion meilleure d’aborder Julien. On ne nous reconnut point pour étrangers, et nous étions si occupés de ce que nous venions d’entendre, que longtemps après nous être enfermés seuls dans notre retraite, nous ne cessions d’y réfléchir sans parler.

» À dater de ce jour, la surveillance des eunuques auprès de Julien et de Gallus devint si sévère que la moindre sortie du château de Macella leur fut interdite. On fit courir dans la ville de Nicomédie le bruit que l’un des princes était mort, et on laissait entendre que c’était le jeune moine. Les eunuques chrétiens affectaient de gémir sur l’égarement de sa raison. Nous ne doutâmes pas que l’on ne voulût, par ces propos, préparer tous les esprits à quelque funeste nouvelle, et nous ne cessions de nous informer inutilement par les rues de ce qui se passait dans la sombre forteresse. Paul de Larisse était plongé dans une amère tristesse. Je ne pouvais le décider à quitter Macella, et jour et nuit il rôdait autour des vieilles murailles comme un malfaiteur. Rien ne pouvait calmer le chagrin que lui avait causé cet emportement désespéré du jeune religieux. Nous pensions que le dernier espoir était perdu pour nous, et que cette publique imprudence allait servir de motif à la disparition du seul rejeton impérial en qui les pensées philosophiques pussent avoir accès.

» — Vois, — me disait Paul de Larisse, une nuit que nous marchions sous les murs de Macella, — vois cette religion chrétienne qui n’est pas contente de dévorer l’Empire et de le livrer aux barbares, mais qui se dévore elle-même par ses schismes.

» — L’esprit des hommes de notre temps, — lui disais-je, — est trop subtil et trop pénétrant pour qu’une fable y soit adoptée sans contestation. Les Nazaréens ont déjà autant de sectes qu’il y a eu de sophistes pour examiner et prêcher leur