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s’apprêtait avec soin une place voisine des femmes préférées, on souriait à telle parure, on applaudissait à telle autre de l’œil, de la tête et du geste, on était à tout, hors à la pensée divine. Les mollesses de l’ennui, les grâces de l’amour efféminé, les puérilités d’une vie oisive, c’était tout. Et ces grandes saintetés que nous n’écoutons qu’avec un étonnement perpétuel, que nous ne répétons qu’en hésitant, que nous portons en nous avec terreur comme une femme porte l’enfant qu’elle croit divin, ces grandes choses qui leur étaient données chaque jour, étaient, pour ces esprits fatigués et vulgaires, une vulgaire nourriture. Et je ne vis le sentiment céleste que dans les yeux de Paul et dans les regards troublés de Julien.

» Julien est timide et sauvage de caractère. C’était la première fois qu’il venait entendre d’autres enseignements que ceux qu’il avait reçus à Macella des rhéteurs chrétiens, maîtres imposés par l’eunuque Mardonius, ce misérable intrigant que vous connaissez. Julien se penchait sur sa tribune, pressant son frère du geste et des yeux de redoubler d’attention au discours de l’évêque de Nicomédie dont il reçut de loin la bénédiction en se prosternant, le front sur ses mains jointes.

» Cet évêque est un apostat très savant nommé Aëtius[1]. Autrefois esclave, puis chaudronnier ambulant, orfèvre, médecin, maître d’école ; depuis, prêtre d’Apollon Musagète, et enfin théologien nazaréen, il avait apostasié comme Constantin, et fut nommé évêque par le dernier Empereur.

» Depuis le commencement des prières, et pendant la lecture de Julien, il était uniquement occupé de quelques disputes qu’il suivait, à demi-voix, avec les sophistes chrétiens des sectes différentes de la sienne. L’ardeur des controverses l’animait d’une façon extraordinaire. Il raturait sur ses genoux des manuscrits qui lui étaient présentés et répondait en marge, avec son stylet. Sa figure ne m’était pas entièrement inconnue. Il était grand, maigre et fort laid. Son visage bilieux et ridé avait quelque chose de la fouine et du loup, et semblait recouvert d’un parchemin sec et usé. Il n’avait de vie que dans ses petits yeux ardents où la ruse et la défiance perçaient par

  1. Aëtius, reprenant l’hérésie d’Arius, enseigna que le Fils de Dieu n’était pas consubstantiel (ὁμοούσιος) à son Père. Il mourut à Constantinople en 366.