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« Quelle âme ! quelle âme nous a enlevée Constantin l’apostat ! » me dit-il tout bas. « Tais-toi ! répondis-je, mais écoute-le et regarde-le bien ». Julien avait les joues couvertes de larmes, ses yeux bleus étaient en ce moment touchés par un rayon échappé des voûtes du temple, et sa tête seule, éclairée jusqu’aux épaules, paraissait ne plus tenir à un corps humain. Quelque chose de l’enfance, quelque chose de naïf et de pur était visible à tous, et le demi-sourire du berceau errait entre ses lèvres entr’ouvertes et ses dents qui frémissaient comme s’il eût répondu, tout bas, à une déesse maternelle qui lui parlait, où comme si ce prince enfant eût reçu quelques gouttes d’un lait invisible et divin que son extase paraissait lui faire goûter. Son teint, blanc comme celui d’une femme, s’était animé tout à coup et enflammé comme le visage des jeunes filles à qui l’on arrache le voile ; son front large était humide et renvoyait près de lui, sur la colonne, un peu de la clarté pure du rayon d’en haut.

» Le son de la voix était tendre et clair à la fois comme le son de la voix des vierges, et il devint comme une sorte de chant lorsque le jeune lecteur, prenant le livre, se mit à réciter, selon la cadence usitée parmi les chrétiens, le livre qu’ils appellent : Livre de la Sagesse. »

Je me sentis rougir et ne pus m’empêcher de m’écrier :

— Ah ! certes, il ne leur appartient pas, seigneurs ! Ce livre est notre ouvrage, et nous autres juifs d’Alexandrie l’avons vu sortir de l’école de nos thérapeutes. Ils l’écrivirent en grec, jamais Salomon n’en fut l’auteur, et l’original hébreu ne s’est jamais vu. Cette sagesse est celle de nos Esséniens. Ne savez-vous pas que la Synagogue est divisée par dogmes philosophiques ? les Saducéens sont épicuriens, les Pharisiens, stoïciens, et les Esséniens, pythagoriciens. Les purs Esséniens sont de chastes cénobites. Tous leurs biens sont en commun. Ils n’ont point de serviteurs et se servent l’un l’autre. Ils passent leur vie dans le travail des mains, le silence, la prière et l’étude de l’Écriture sainte. Ils regardent comme une imperfection d’aimer les femmes et de se marier ; ce sont eux que les apôtres se sont efforcés d’imiter, et Jésus de Nazareth était nourri de leur doctrine.