Page:Revue de Paris - 1912 - tome 4.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.

» Il y avait à l’entrée de l’église des jeunes filles vêtues à demi, le visage découvert, les bras nus, et soutenues par des esclaves ; elles s’avançaient comme à l’amphithéâtre, tenant leurs miroirs à la main, parfumées et ornées de pierreries sur leurs sandales et les doigts des pieds. Chacune d’elles attendait son amant qui devait sortir de l’église, et, d’instant en instant, il venait un jeune homme la prendre en souriant et l’introduire avec orgueil. Il la précédait, la nommant sa sœur adoptive, selon l’usage hypocrite introduit nouvellement et qui vous a tant indigné, Jean. Chaque frère précédait sa sœur, lui parlait à haute voix, malgré les chants religieux qu’ils ne craignaient pas de troubler, puis la faisait asseoir entourée d’hommes, sur de petits lits de soie où les autres femmes venaient se coucher à demi, s’étudiant à ces poses voluptueuses que savent prendre les jeunes filles au théâtre. Paul s’étonnait qu’elles ne fussent pas chassées honteusement. C’est qu’il ne voyait pas qu’à Nicomédie comme à Antioche, à Constantinople, à Carthage, à Alexandrie, à Athènes, il faut bien que la religion nouvelle laisse prendre cette liberté effrontée pour se faire aimer de la jeunesse qui lui est utile et la défend.

» Cependant une procession nombreuse d’hommes vêtus de robes noires et portant des croix blanches sur la poitrine nous annonça quelque chose de plus grave. Ils chantaient un cantique funèbre sur le chant des Euménides poursuivantes d’Eschyle, ce chant qui faisait mourir les mères de terreur. Un silence profond suivit leur entrée dans le temple et, prenant Paul par la main, je le forçais de les suivre et de se placer avec moi derrière une de ces colonnes torses de marbre vert que Constantin l’apostat a multipliées à Nicomédie, lorsqu’il fit planter une croix sur l’ancien temple de Cérès-Déo[1]. Paul mit quelques grenades dans sa poitrine en expiation secrète à Cora et Déo, les deux déesses dont il croyait offenser le nom mystique, et, le front enveloppé dans son manteau, il observa ainsi que moi ce qui se passait.

» Le prêtre ayant quitté l’autel de la Mort, car à Nicomédie comme dans toutes les villes chrétiennes il a la forme d’un tombeau, vint s’asseoir avec les autres religieux et se tourna

  1. De δήω, j’invente, pour l’invention de la culture (Note de vigny).