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d’Antioche, et passe pour le plus éloquent des avocats de cette ville querelleuse et loquace, si bien que ses lèvres dorées l’ont fait surnommer Chrysostome. Il a vingt ans, et son teint brun, ses grands yeux noirs pleins de flammes tiennent de l’homme asiatique ; mais ses joues creuses et sans barbe, son sourire gracieux annoncent l’élève des écoles savantes et polies. Basile, le plus âgé, et qui a, m’a-t-il dit, trente-cinq ans, est né à Césarée où il est avocat ainsi que Jean, sur l’esprit duquel il semble avoir quelque empire. Il est grave et d’une gravité solennelle et imperturbable, surprenante à voir dans un habitant de la moins austère des villes.

Libanius demanda d’abord des fruits de Damas, des brabyles de Rhodes, des coquillages et du vin de Thasos que l’on apporta dans des amphores étrusques jaunes et noires, très simples, et qui nous fut versé dans des coupes semblables et dans des scyphes de bois et d’argent par des esclaves enfants. Nous gardions tous le silence en nous observant mutuellement, comme si nous avions mesuré intérieurement tout ce qui nous séparait, lorsque Libanius, me prenant la main, dit à ses deux convives :

— Ce jeune homme est Joseph Jedaïah, il a vingt ans comme Jean, mais il a vu plus que nous trois, mes enfants. Son peuple est voyageur : il en suit l’instinct et il a raison, n’ayant pas encore beaucoup parlé avec nous et ne sachant guère ce qui s’est fait jusqu’ici.

Ces premiers mots me troublèrent un peu, parce qu’il me semblait bien qu’il régnait entre eux tous quelque chose que je ne pouvais comprendre qu’à la longue.

Jean pressa les mains de Libanius dans les sienne :

— Ce jeune israélite a-t-il vu Julien, — dit-il, — et arrive- t-il avec lui ?

— Je viens de la Perse, — dis-je, — et je ne sais plus rien de Jérusalem ni de la Grèce depuis deux ans.

— Où fuirons-nous Julien, — poursuivit Jean, — et comment ne pas lui parler, s’il veut nous appeler à lui ? Pourquoi Basile est-il venu me chercher dans la solitude où j’étais ?

Libanius frappa légèrement la tête de Jean du bout des doigts :

— J’ai, — dit-il, — un conseil à te donner qui valait la peine de revenir me voir à Daphné.